
L'épaisse couche organique noircie qui subsiste au sol après le passage du feu crée des conditions propices aux températures élevées, ce qui nuirait à la germination des graines d'épinettes et à la survie des jeunes plants.
— Juliette Boiffin
Les deux chercheuses du Centre d'étude de la forêt et du Département des sciences du bois et de la forêt ont étudié 133 sites frappés par des feux de forêt entre 2005 et 2007. La régénération de l'épinette noire est famélique dans presque tous ces sites, rapportent-elles. La densité de cette espèce serait en baisse alors que celle du pin gris grimpe en flèche.
Les chercheuses ont noté qu'une épaisse couche organique noircie subsiste au sol après le passage du feu. Ce sol, qui retient peu l'humidité et qui crée des conditions propices aux températures élevées, nuirait à la germination des graines d'épinettes et à la survie des jeunes plants. «Dans cet écosystème, les espèces qui s'installent dans les premières années qui suivent le feu donnent un bon aperçu de la composition de la forêt à maturité. La faible abondance de l'épinette noire risque donc de se maintenir pendant toutes les phases de la succession végétale», soulignent les deux chercheuses.
L'année dernière, Mélanie Veilleux-Nolin et Serge Payette, du Centre d'études nordiques, ont eux aussi montré que les feux qui épargnent le sol organique sont devenus la norme au cours des 20 dernières années dans le nord du Québec. Leur étude, parue dans le Canadian Journal of Forest Research, portait sur 13 sites brûlés entre 1991 et 2005 qu'ils ont visités en 2009. La faible densité des jeunes épinettes noires sur ces sites les amenait à conclure que les forêts boréales fermées risquaient de céder le pas à des milieux plus ouverts, les pessières à lichen.
«Pour l'épinette noire, un feu idéal détruit presque toute la couche organique du sol, souligne Serge Payette. Ses graines germent bien sur un sol minéral.» Comment expliquer que les feux ne parviennent plus à créer ces lits de germination? «Les pessières qui brûlent aujourd'hui dans le nord du Québec ont plus de 80 ans. Pendant cette période, il s'est accumulé de 10 à 15 cm de matière organique au sol. Comme la densité des arbres est élevée, les flammes se propagent de cime en cime et l'intensité du feu est insuffisante pour détruire toute la couche organique», avance le chercheur. «Le pin gris, une espèce parfaitement adaptée au feu, tire profit de cette situation.»
En théorie, il y aurait moyen de renverser la vapeur en «labourant» le sol des sites brûlés au moment où les compagnies forestières récupèrent les arbres encore sur pied. «Considérant les coûts d'une telle intervention, on ne pourrait sans doute pas l'appliquer en forêts naturelles», estime toutefois le chercheur.