
«En recourant au français, comme à l’anglais, l’allemand, le russe et le néerlandais, les groupes et idéologues jihadistes ciblent des personnes de plus en plus jeunes vivant dans les pays occidentaux», explique Benjamin Ducol, doctorant en science politique et auteur d’un article scientifique sur la jihadisphère de langue française. «Une jihadisphère petite mais active», dit-il.
L’article a paru en avril 2012 dans la revue Media, War & Conflict. Selon le chercheur, ces jeunes sont soit des enfants d’immigrés musulmans ayant un lien familial avec l’islam, soit des «convertis» sans lien au préalable avec cette religion. «Les uns et les autres, poursuit-il, manifestent de l’intérêt d’abord pour un discours radical, ensuite possiblement pour le passage à l’action. Il peut y avoir quelque chose de profondément excitant, pour qui cherche quoi faire de sa vie, dans le fait de se joindre à un groupe du bout du monde pour manipuler des armes et combattre.»
Le cas d’Ansar al-Haqq
Benjamin Ducol est le premier chercheur à étudier les sites jihadistes francophones. Dans son article, il fait une large part à Ansar al-Haqq. Lancé en 2006, ce site s’inscrit dans la continuité de deux sites précédemment mis en ligne en Belgique, mais fermés l’un après l’autre par les autorités. Le site est cette fois hébergé par un serveur de Malaisie. «Certains pays, indique-t-il, sont moins regardants que d’autres en ce qui concerne des sites soutenant le jihadisme violent.»
Ansar al-Haqq contient notamment une collection de textes au contenu extrémiste écrits par des idéologues jihadistes. Dans la sous-section al Jihad, l’un d’eux s’intitule: «Est-il permis d’utiliser les armes de destruction massive contre les États-Unis?». Une sous-section présente des nouvelles et des déclarations officielles diffusées par divers groupes terroristes.
Ansar al-Haqq aurait reçu en moyenne 240 visiteurs uniques chaque jour entre octobre 2009 et mars 2011. Sur ce site, la diffusion de la propagande jihadiste se fait principalement dans le forum de discussion et sur le babillard. L’achalandage comprend une forte majorité d’usagers passifs et une petite minorité de membres actifs.
Les femmes aussi militent
En mars 2011, le forum d’Ansar al-Haqq comptait plus de 2 500 membres enregistrés, dont 26 % de femmes. «Sur le Web, souligne Benjamin Ducol, celles qui sont actives jouent un rôle dans l’animation des forums et font la traduction de documents de propagande.»
Dans son article, le chercheur remet en question l’affirmation voulant qu’Internet puisse seul radicaliser la pensée et amener à s’engager concrètement. «Très souvent, affirme-t-il, l’entourage, que ce soit la famille ou les amis, exerce une influence extrêmement importante dans ce parcours. Mon étude démontre que le Web pique la curiosité et que la plupart des candidats s’engagent sur une base relationnelle. Par exemple en raison d’un proche qui est déjà membre d’un groupe terroriste.»