
La cérémonie de signature, en 1982, sur la colline parlementaire d'Ottawa, de la proclamation visant le rapatriement de Londres de la constitution canadienne et sa révision subséquente. Le ministre de la Justice Jean Chrétien s'exécute face à la reine Elizabeth II.
Guy Laforest, professeur au Département de science politique, ne mâchait pas ses mots, le jeudi 10 novembre, durant son exposé, au pavillon Charles-De Koninck, sur les causes, les responsabilités et les conséquences de l’Accord constitutionnel fédéral-provincial du 5 novembre 1981. Signée sans la participation du gouvernement du Québec, l’entente a ouvert la voie au rapatriement de Londres, en 1982, de la Constitution canadienne, et à sa révision subséquente. L’Accord prévoyait notamment la perte, pour le Québec, du droit de veto en matière de modifications constitutionnelles.
Guy Laforest est un spécialiste reconnu de la politique canadienne. Il est notamment l’auteur de Trudeau et la fin d’un rêve canadien. Selon lui, l’ensemble des documents à la disposition des chercheurs indique que la performance de la délégation québécoise fut une comédie d’erreurs. «Mauvaise organisation, mauvaise stratégie, mauvaise équipe, manque de discipline: il y a eu un chaos à peu près formel dans l’équipe québécoise pendant cinq jours», a-t-il affirmé.
Le premier ministre René Lévesque était accompagné des ministres Claude Morin et Marc-André Bédard, ainsi que du leader parlementaire Claude Charron. «Lévesque avait choisi Charron pour le récompenser de son excellent travail comme leader parlementaire, a rappelé le professeur. Au global, Lévesque avait amené avec lui une équipe assez faible à Ottawa. Pourtant, le cabinet québécois de l’époque disposait de très grosses pointures. Pierre-Marc Johnson, Jacques Parizeau et Bernard Landry deviendront tous premiers ministres.»
Des pressions formidables
Trois facteurs ont été à l’origine des négociations de l’automne 1981. D’abord, le Québec. «Depuis la Révolution tranquille de 1960 jusqu’au référendum de 1980, le Québec et le mouvement souverainiste ont exercé des pressions formidables sur le système politique canadien et ses principaux acteurs pour le réformer en profondeur», a soutenu Guy Laforest. Deuxièmement, dans un contexte de transformations mondiales, la société canadienne-anglaise était prête à faire évoluer son nationalisme loyaliste traditionnel. Enfin, le premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau a vu une opportunité historique unique dans le rapatriement.
Le référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec s’était conclu par une victoire du non avec 59,6 % des voix. Par la suite, le premier ministre Trudeau a pris l’initiative de la réforme constitutionnelle. «Il a appuyé sur son grand rêve de refonder la nation canadienne sur un individualisme républicain à l’intérieur duquel tous les Canadiens disposent des mêmes droits, y compris en matière linguistique», a expliqué le professeur.
Selon lui, l’une des erreurs du gouvernement du Québec a été de tenir à l’écart le chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan. «Par son livre beige, a-t-il dit, Ryan était la personne la plus crédible au Québec sur le plan du fédéralisme renouvelé.»
Guy Laforest voit plusieurs conséquences au rapatriement de la Constitution. Les autochtones ont obtenu des droits importants, eux qui étaient pourtant absents des négociations. Le rapatriement a entraîné le renforcement d’un néonationalisme au Canada anglais. Et la formule d’amendement, qui permet de modifier la Constitution, est maintenant soumise à des rigidités juridiques et politiques qui rendent toute modification extrêmement difficile. «Selon mon point de vue, a-t-il poursuivi, il est raisonnable de penser que le principe fédératif lui-même a été affaibli. Quant au Québec, lui qui voulait des réformes, il est ressorti isolé de cette opération. Il participe moins. Il vit une sorte d’exil intérieur dans son propre pays.»