
Même s'il ne pourchasse pas activement les faons, l'ours noir serait responsable de près de 60 % de la mortalité des petits caribous forestiers.
— Nicolas Courbin
Guillaume Bastille-Rousseau et Daniel Fortin, du Département de biologie, Christian Dussault et Réhaume Courtois, du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, et Jean-Pierre Ouellet, de l'UQAR, ont étudié les comportements alimentaires de l'ours noir dans le massif de la Jacques-Cartier, un territoire de 8900 km2 situé au nord de la ville de Québec et dans Charlevoix. Les chercheurs ont suivi les déplacements de 12 ours noirs munis de colliers GPS pendant les mois de mai et juin, en 2005 et 2006. Ces périodes coïncident avec la mise bas du caribou forestier et de l'orignal dans ce secteur.
Les chercheurs ont aussi cartographié la position des trois «plats» de cet omnivore pendant la même période: les sites où abondent les végétaux dont il se nourrit, les sites fréquentés par les petits caribous et ceux fréquentés par les petits orignaux. La position des faons a été établie à l'aide de données provenant du suivi télémétrique de leur mère. Au total, une soixantaine de femelles des deux espèces ont été suivies. Une chute drastique des déplacements d'une femelle est indicative de mise bas.
Les ours ne chercheraient pas activement à se mettre un faon sous la dent, révèlent les analyses des chercheurs. Leur préférence va plutôt du côté des sites où abondent leurs végétaux préférés. «C'est lors de leurs fréquents déplacements entre les sites riches en végétation que les ours croiseraient fortuitement des faons», explique Daniel Fortin. Les ours se déplacent entre ces sites avant d'avoir épuisé les ressources en nourriture qui s'y trouvent, ce qui augmente la probabilité de rencontres avec des faons, ajoute toutefois le chercheur.
Fait étonnant, l'ours serait tout de même le principal prédateur des petits caribous dans cette région. «Lorsque nous avons entamé le projet en 2004, on savait que le loup était le principal prédateur des caribous adultes et on croyait qu'il était aussi le principal prédateur des jeunes. Nos données montrent qu'environ 60 % de la mortalité des faons est attribuable à l'ours. C'est dix fois plus que la prédation par le loup.»
Selon le professeur Fortin, les gestionnaires de la faune devraient tenir compte des stratégies alimentaires de l'ours dans la gestion du caribou forestier, une espèce dont les populations sont menacées un peu partout au Canada. «Les abords de routes et de chemins forestiers sont les zones les plus recherchées par l'ours parce qu'il y trouve de la nourriture en abondance. Lorsque ces chemins se trouvent à proximité de forêts de conifères matures fréquentées par le caribou, la probabilité de prédation de faons augmente. Il faut donc éviter de construire de nouvelles routes à proximité de ces forêts et il faudrait même favoriser le retour de la végétation sur les chemins forestiers qui ne sont plus utilisés», propose le chercheur.