
Chaque plant d'herbe à poux libère d'énormes quantités de pollen très léger et produit plusieurs milliers de graines annuellement.
— Andrew Butko
Martin Joly, Pascale Bertrand, Roland Gbangou, Marie-Catherine White, Jean Dubé et Claude Lavoie ont élaboré ce modèle en étudiant la répartition de l'herbe à poux sur le réseau routier de Bellechasse. Les chercheurs ont sélectionné au hasard quelque 300 parcelles situées le long des 1316 km de routes de cette région. Ils se sont rendus sur place pour caractériser les lieux et établir si l'herbe à poux y vivait. Leurs données, qui paraissent dans le numéro de septembre de la revue scientifique Environmental Management, indiquent que la probabilité de trouver cette espèce est plus grande le long d'une route régionale pavée (387 fois plus élevée) et d'une route locale pavée (48 fois plus élevée) que sur une route locale non pavée. À l'inverse, cette probabilité est plus faible dans les sites où l'accotement a été récemment fauché (deux fois plus faible) et lorsqu'un milieu forestier se trouve à proximité (5 fois plus faible).
«Dans le sud du Québec, asphalter une route équivaut à paver la voie à l'herbe à poux. L'asphaltage fait l'habitat», commente Claude Lavoie, professeur à l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional. Ce n'est pas une affinité pour le bitume qui explique la présence de l'herbe à poux en bordure des routes pavées. «Les accotements plus larges des routes asphaltées créent plus d'habitats, le volume de circulation plus élevé favorise la dispersion des graines et l'entretien plus intensif de ces routes perturbe le sol, ce qui favorise une espèce envahissante comme l'herbe à poux», explique le chercheur. À l'aide de quatre variables – routes régionales pavées, routes locales pavées, fauchage récent des accotements et couvert forestier à proximité –, le modèle développé par les chercheurs parvient à prédire correctement, dans 89 % des cas, la présence ou l'absence d'herbe à poux le long d'une route.
Il y a une leçon pratique à tirer de cette étude. «En fauchant les accotements de toutes les routes asphaltées avant la floraison de la plante en août, et idéalement à deux reprises durant l'été, on finirait par réduire de façon substantielle l'abondance de cette plante annuelle dans ces importants corridors de propagation», estime le professeur Lavoie.
L'herbe à poux est une plante envahissante redoutable. De la mi-juillet jusqu’aux premières gelées, ses fleurs mâles libèrent d'énormes quantités de pollen très léger que le vent peut transporter sur plusieurs kilomètres. En une saison, elle produit entre 3 000 et 60 000 graines qui peuvent survivre jusqu’à 40 ans dans le sol avant de germer.