
Marc-André Sirard du Centre de recherche en biologie de la reproduction: «Si nous parvenons à comprendre comment l'aneuploïdie se produit, nous pourrions améliorer les techniques actuelles de reproduction assistée».
— Marc Robitaille
Le principal problème qui frappe alors est l'aneuploïdie. Lors de la maturation normale d'un ovule, le nombre de chromosomes dans la cellule passe de 46 à 23, mais il arrive que la séparation des chromosomes se déroule mal. On se retrouve alors avec des ovules qui ont un ou des chromosomes surnuméraires ou manquants. «La trisomie 21, qui se caractérise par un chromosome surnuméraire sur la 21e paire, est le cas le plus connu d'aneuploïdie», rappelle le chercheur. L'incidence de la trisomie 21 est étroitement liée à l'âge de la mère: dans la vingtaine, elle est de 1 sur 1500, à la mi-trentaine, elle passe à 1 sur 200, et, à 43 ans, elle grimpe à 1 sur 50. Ce n'est là que la pointe de l'iceberg de l'aneuploïdie. «La presque totalité des ovules aneuploïdes ne donnent pas d'embryons viables et ils sont éliminés naturellement», affirme Marc-André Sirard.
La communauté scientifique considère l'aneuploïdie comme une chose qui «fait partie de la vie», mais il y a lieu de se demander pourquoi ce genre d'erreurs est si commun, estime le chercheur. Dans un article qui paraîtra sous peu dans le Journal of Assisted Reproduction and Genetics, le professeur Sirard passe en revue les hypothèses avancées jusqu'à maintenant pour expliquer la recrudescence d'aneuploïdie chez les femmes à partir de la mi-trentaine.
La première: le temps. Les ovules appelés à se développer durant la vie d'une femme sont tous présents dans ses ovaires avant même qu'elle naisse. Leur développement est toutefois suspendu jusqu'à ce qu'ils reçoivent un signal de l'ovaire, signal qui peut mettre jusqu'à 50 ans à venir. «Comment expliquer alors que le déclin de la qualité de l'ovule observé dans la trentaine est exponentiel alors que l'effet du temps est linéaire?», s’interroge le chercheur. La deuxième: le vieillissement. Si cette hypothèse tenait la route, on devrait observer autant de cas d'aneuploïdie dans les spermatozoïdes. Le phénomène existe, constate-t-il, mais il est beaucoup plus rare et on l'attribue davantage à une exposition aux produits toxiques qu'au vieillissement.
Un lien avec l’évolution?
Le professeur Sirard entrevoit une autre possibilité qui, à sa connaissance, n'a pas encore été évoquée. L'aneuploïdie serait un mécanisme apparu au cours de l'évolution pour prévenir la conception d'enfants sur lesquels la mère, en raison de son âge avancé, aurait peu de chance de veiller jusqu'à ce qu'ils deviennent autonomes. Ce mécanisme serait apparu il y a longtemps, lorsque l'espérance de vie d'un être humain était beaucoup moins élevée qu'elle l'est maintenant. «L'aneuploïdie conduit parfois à la naissance d'enfants handicapés, reconnaît-il, mais, la plupart du temps, elle fait en sorte qu'il n'y a pas d'enfants du tout.» Le chercheur signale au passage qu'il existe un autre mécanisme, présent chez l'humain mais plutôt exceptionnel chez les autres mammifères, qui prévient la conception tardive: la ménopause.
Même si l'aneuploïdie est un problème interne à l'ovule, sa cause est probablement externe, croit Marc-André Sirard. C'est l'ovaire qui semble décider du sort de l'ovule en activant le mécanisme de destruction qu'est l'aneuploïdie. «Si nous parvenons à comprendre comment ça se produit, nous pourrions améliorer les techniques actuelles de reproduction assistée.» L'une de ces techniques consiste à donner des hormones à la patiente pour stimuler sa production d'ovules. Les médecins espèrent qu'il y aura quelques ovules de qualité sur la dizaine qu'ils récupèrent à chaque cycle de traitement. Paradoxalement, ces traitements hormonaux augmentent l'aneuploïdie chez certaines espèces comme la souris et le mouton. Chez l'humain, le recours à des doses réduites d'hormones en diminue l'incidence. «L'ovaire semble se défendre contre de possibles grossesses multiples en ayant recours à l'aneuploïdie, observe le chercheur. Si on comprenait mieux le mécanisme de signalisation de l'ovaire, on pourrait adapter les traitements pour augmenter les chances de produire un petit nombre d'ovules de bonne qualité plutôt que beaucoup d'ovules de qualité moindre.»