
— Marc Robitaille
Cap d’abord sur l’Inde, où sont le Karnataka et le Tamil Nadu. Ces deux États du sud du pays se disputent depuis plus d’un siècle les eaux du Cauvery. Le Karnataka a lancé plusieurs projets d’aménagement hydraulique et d’irrigation qui ont un impact sur le débit de ce fleuve, ce qui ne fait pas l’affaire de son voisin, inquiet pour le sort de ses cultures. Même question potentiellement explosive dans le bassin du Nil. «L’Égypte se montre très réticente à partager le fleuve, et voudrait qu’on reconnaisse des droits historiques en lui garantissant un certain volume des eaux», précise l’auteur. Confrontés à une augmentation constante de leur population, l’Éthiopie, la Tanzanie et le Soudan veulent accroître leur surface agricole irriguée. L’Égypte, de son côté, affronte les mêmes difficultés, car l’importation de céréales pour nourrir sa population lui coûte de plus en plus cher et creuse son déficit commercial déjà astronomique.
La bonne nouvelle pour ce coin du monde, c’est que l’Éthiopie et l’Égypte, longtemps réticentes à se parler, ont entamé des pourparlers en 1999 sur le partage des volumes du fleuve. Cependant, les discussions traînent en longueur et la tension pourrait monter, selon le géographe. «Pourrait-on assister à un conflit armé entre les deux pays, ou à d’autres émeutes de la faim si le prix des denrées augmente trop?», s’interroge Frédéric Lasserre. Le spectre d’un conflit semblable se dessine aussi entre l’Inde et le Pakistan, que bien des dossiers opposent en plus de celui de l’eau. Le traité signé en 1960 pour l’utilisation de l'eau de l’Hindus donne lieu en effet à de multiples affrontements concernant l’interprétation de ses clauses, d’autant plus que les projets indiens de barrage inquiètent le Pakistan.
La Chine de l’intérieur
On le voit, la maîtrise des eaux peut facilement devenir une cause de conflit direct entre deux États. Dans son livre, le géographe pointe aussi du doigt les risques de tension à l’intérieur même des pays lorsque le partage de l’eau devient parfois une source d’affrontement entre différents groupes de citoyens ou avec le gouvernement. C’est le cas par exemple dans le nord de la Chine qui est confronté à une diminution des précipitations depuis plusieurs années. Les paysans de plusieurs provinces se révoltent, car ils constatent non seulement que la croissance économique les a oubliés, mais que les grands projets hydrauliques desservent surtout les villes et l’industrie. Le modèle familial des exploitations agricoles rend difficile par ailleurs une rationalisation de l’utilisation de l’eau. Dans ces conditions, les tensions pourraient monter au sein de la société chinoise, surtout si les besoins en nourriture continuent à augmenter.
Que faire pour éviter que ces conflits potentiels ne dégénèrent dans les pays en voie de développement? Tout simplement peut-être accepter dans les pays occidentalisés de payer plus cher pour certaines denrées de base, comme le riz, le cacao ou le café, répond le directeur de l'ORIE. «Il faut que les paysans puissent investir dans la gestion de l’eau et disposer d’une irrigation plus efficace», explique-t-il. Le géographe constate que certaines régions dans le monde se soucient déjà de préserver cette ressource. C’est le cas notamment du sud-ouest des États-Unis où les agriculteurs texans ont adopté des cultures moins voraces en eau pour ménager les nappes phréatiques. Même effort de rationalisation dans plusieurs villes de l’Ouest puisque leur consommation en eau n’a pas augmenté malgré une augmentation de la population. De ce fait, les projets pharaoniques imaginés par certains économistes au Canada pour exporter de l’eau vers le voisin du sud deviennent bien moins pertinents. «Aucune demande en ce sens n’émane des États-Unis, rappelle le géographe. Non seulement le coût serait astronomique, de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars, mais en plus la population s’y oppose.» La prochaine guerre de l’eau ne devrait donc pas se jouer à nos portes.