En se penchant sur le cas de Québec, cité où il réside depuis 25 ans, l’historien de l’Université Laval Laurier Turgeon en a surpris plus d’un. La ville a beau se présenter comme une capitale nationale, siège du parlement provincial, elle accueille également la résidence de la gouverneure générale du Canada, représentante de la reine au pays, qui y donne des réceptions et reçoit les visites de dignitaires étrangers. Autre étonnement, le gouvernement fédéral possède près de 40 % du centre historique de la ville et même une partie des bâtiments du Parlement. Jusqu’à la mission de la Commission de la capitale nationale du Québec, créée dans la ferveur nationaliste des années 90, qui pèche par confusion aux yeux du conférencier. Hormis les aménagements effectués autour du Parlement et les fouilles archéologiques autour du palais de l’Intendant, cet organisme manque peut-être de grands monuments nationaux à se mettre sous la dent. L’architecture de la ville se caractérise en effet surtout par des habitations ainsi que des églises et des monastères, dont la survie est menacée par l’abandon de la pratique religieuse.
Dans ce contexte, le conférencier émet l’hypothèse que la ville de Québec, reconnue comme la capitale de la francophonie en Amérique du Nord, se définit peut-être davantage par son patrimoine immatériel que par ses monuments. Les nombreuses fêtes, comme la Saint-Jean, Expo Québec, le tournoi international de hockey pee-wee et le Festival d’été, contribueraient à définir son identité, d’autant plus que la demande touristique ne cesse de croître. Il semble donc que le statut de ville du patrimoine mondial décerné par l’UNESCO correspond à Québec davantage à une tradition vivante qu’à des monuments. D’autant plus que la plupart des habitants de Québec n’ont jamais vécu dans le centre historique, comme l’a fait remarquer Andrée Fortin, professeure au Département de sociologie, dans sa conférence sur des réflexions en marge du 400e de la ville. Si en 1965, 55 % des enfants grandissaient en banlieue, ils étaient 90 % en 2006. Par le fait même, les références au passé se situent de plus en plus à l’extérieur du centre historique. En témoignent des ouvrages savants comme Sainte-Foy, l'art de vivre en banlieue au Québec publié par l’historien Michel Lessard en 2001, des films dans lesquels des cinéastes racontent leur enfance en banlieue, ou encore les revendications pour faire classer le bungalow comme mode de vie particulier au Québec.
La notion patrimoniale semble donc souvent à mille lieues de la réalité objective à l’image de Syracuse, une ville sicilienne présentée par Chiara Bortolotto. Cette stagiaire postdoctorale, membre de l’équipe du LAHIC à Paris, a fait valoir que, confrontée à la fermeture d’installations industrielles dans les années 70, la ville s’est tournée vers son glorieux passé de capitale au 5e siècle avant Jésus-Christ. Syracuse met en valeur dans ses affiches les temples de cette cité qui a défait Athènes et qui a hébergé des philosophes et des écrivains célèbres. Parfois même jusqu’à l’absurde: c’est une image du temple original qui est reproduite sur la toile recouvrant la cathédrale en réfection. Cette glorification de l’héritage grec en Sicile a aussi des ramifications politiques, a fait remarquer la chercheuse. Comme quoi la mise en valeur du patrimoine d’une ville ne se limite pas à protéger quelques monuments contre les ravages du temps.