«Je veux vous faire vivre des moments que vous ne vivrez pas», a lancé l’élégante dame de 86 ans, qui en paraît 15 de moins. Lumineuse et d’un chic fou, Madeleine Arbour a raconté ses débuts de designer, à une époque où cette profession n’existait pas au Québec. «Je ne savais à peu près rien sur l’art alors je passais mon heure de dîner dans une librairie à feuilleter des ouvrages sur le surréalisme et le cubisme, dit-elle. Tous les dimanches, j’allais au Musée McCord, l’un des rares endroits où il était possible d’admirer de beaux objets à Montréal dans les années 1940.» Ses créations et ses décorations frappent l’imagination du public et sont de plus en plus appréciées. Le nom de Madeleine Arbour commence à circuler dans le milieu artistique, et pas n’importe lequel. Ses amis s’appellent Jean-Paul Riopelle, Pierre Gauvreau, Paul-Émile Borduas. Avec eux, elle signera le manifeste du Refus global en 1948. «Je n’avais jamais lu un texte aussi beau», affirme Madeleine Arbour à propos de cet écrit révolutionnaire qui rejetait l’immobilisme de la société québécoise étouffant sous le poids des conventions et de l’Église.
Une femme d’intérieur
L’ouverture de la télévision de Radio-Canada en 1952 marque ses débuts de conceptrice de décors de diverses émissions, dont la série pour enfants La Boîte à surprises, puis d’animatrice d’une chronique de bricolage pour enfants qui deviendra vite très populaire. Le message qu’elle lance aux jeunes va dans le sens de l’imagination et de la créativité. «Je voulais éduquer les enfants et les encourager à avoir confiance en eux, relate Madeleine Arbour. Je leur disais qu’ils pouvaient décider de faire quelque chose de différent et que le résultat final serait peut-être encore plus beau.» Dans les années 1960, elle anime une chronique à l’émission Femmes d’aujourd’hui où elle entretient son auditoire majoritairement féminin de décoration et de design. Des compagnies de théâtre lui demandent de concevoir des décors et des costumes. L’artiste réaménage des voitures de train, décore des avions, réalise des murales, refait du tout au tout la décoration d’appartements et de maisons à partir d’un thème, d’une idée. Rien n’est à son épreuve. Ayant eu vent que des Américains amateurs d’antiquités n’hésitent pas à grimper sur les toits des granges et des couvents québécois afin de s’emparer des girouettes qui y sont juchées, elle fonde, avec son grand ami Jean-Paul Riopelle, la Société de protection des girouettes de la province de Québec. Un brin de douce folie l’a toujours habité.
«J’ai une belle vie, a lancé Madeleine Arbour aux étudiants en guise de conclusion. À mon âge, je me lève le matin toujours aussi émerveillée. Je vous souhaite d’être heureux dans votre profession d’architecte. Beaucoup d’architectes ont fait des choses intéressantes à un âge très avancé. C’est la grâce que je vous souhaite.»