
Jean Désy: «En dehors des forces de l'Amour, rien n'en vaut la peine, rien de rien».
Sur la page couverture d’Entre le chaos et l’insignifiance, la photo d’un terrain effondré. On devine qu’il y a eu glissement de terrain. De haut en bas de l’image, le sol se déconstruit, perd sa verdure et sa stabilité, s’effondre et chute dans le vide. C’est ainsi que le Mal survient, nous dit Jean Désy dans les premières pages du recueil; il apparaît là où il n’est pas nécessairement attendu, et n’a besoin de nulle raison pour s’emparer d’une vie et l’entraîner dans le vide sans qu’on puisse l’en empêcher. À moins, bien sûr, d’être capable de miracle. Le médecin, voyageur et écrivain revient ensuite à l’époque où, jeune adulte, il était persuadé que le roman n’était que fiction et que la poésie n’était d’aucune utilité dans le monde réel. «Une meilleure prise de conscience de ce qu’est la littérature m’aurait permis de comprendre pourquoi j’allais tant souffrir au contact de la souffrance des autres», confie-t-il.
La littérature comme la souffrance sont omniprésentes dans les huit textes qui suivent le prologue d’Entre le chaos et l’insignifiance. Si la souffrance prend la figure du Mal, la littérature tient lieu de prière, et c’est une prière qui ne s’adresse pas à Dieu, mais aux êtres humains qui, d’un texte à l’autre, se montrent capables du pire comme du mieux. Dans La chute, Albert Camus laissait la parole à un homme seul qui, autrefois promis à une brillante et glorieuse carrière, était soudainement placé devant l’inanité de son comportement passé. Le narrateur d’Entre le chaos et l’insignifiance revient lui aussi sur des événements passés, mais il n’est pas seul, puisque des amis, des collègues ou d’anciens étudiants l’accompagnent tout au long d’un chemin qui le conduira vers la liberté. Et si le narrateur se demande souvent pourquoi continuer de soigner devant l’impossibilité d’arrêter le Mal, il refuse de faire de l’absurdité le justificatif de l’inaction. Comme Camus le faisait dans La peste, Jean Désy rappelle l’importance de donner un sens à l’événement insensé, sens qui souvent ne peut se trouver que dans le Don puisque «[…] en dehors des forces de l’Amour, rien n’en vaut la peine, rien de rien», rappelle Jean Désy tout au long de son livre.