
Créée par l’artiste néerlandais en 2006, Drives a reçu une mention spéciale du jury au Japan Media Arts Festival de Tokyo en 2007. Mention méritée, mais qui laisse toutefois place à l’étonnement tant l’œuvre d’Olofsen n’a rien de spectaculaire. Au contraire, par sa rigueur et sa sobriété, Drives énonce nettement son refus du tape-à-l’œil si prisé dans les festivals. Mais si l'installation Drives ne crée pas de choc, elle entre tout de même en collision avec le monde actuel en créant un espace propice à la lenteur, à la rêverie, à la contemplation, toutes choses mises à mal dans un quotidien soumis aux dictats de machines de plus en plus performantes.
Imprégnée de la lumière des pays du Nord, Drives s’adapte aux lieux où elle séjourne et si, au départ, l’artiste avait prévu projeter l’image vidéo sur trois écrans distincts, il a revu ses positions afin d’exploiter tout le potentiel de la Galerie des arts visuels. Bref, à Québec, Drives se passe d’écran et habite les murs de la galerie, comme pour mieux s’y intégrer. À moins que ce ne soit pour mieux crever l’espace, qui ouvre à la fois sur l’intime et le collectif.
Sur un mur et puis sur l’autre, une voiture traverse lentement le cadre de l’image. Et puis en voici une autre, et une autre encore... Sur trois murs, les voitures glissent dans l’espace avec une infinie lenteur. Peu importe d’où elles viennent, peu importe où elles vont; elles passent sans jamais se croiser, comme si chacune d’entre elles suivait une route unique et solitaire. À leur bord, un homme, une femme, un couple, une famille, des hommes ou des femmes... Des vies, des visages inconnus, des histoires qu’on ne connaîtra jamais, des mots qu’on n’entendra pas, mais qu’on imagine semblables aux nôtres ou à ceux que l’on entend au cinéma. Des instants d’intimité dont nous sommes devenus témoins malgré nous.
Au jeu des frontières
Les «acteurs» de Drives ont été captés au passage par Erik Olofsen, alors assis dans le siège du passager d’une autre voiture. L’artiste a utilisé une caméra dotée d’une puissance de captation exceptionnelle: un millier d’images/seconde plutôt que 24. Les mouvements des «acteurs» se sont donc inscrits sur la pellicule dans toute leur amplitude. Projetée au ralenti, l’image révèle donc quantités de petits détails à la fois inédits et familiers, comme si les acteurs étaient observés sous microscope. Mais Drives n’est pas une reproduction du réel, et si le lent passage des images invite à la méditation, leur projection inversée ouvre la porte à la fiction. Et c’est justement sur la mince ligne de partage entre songes et réalité que se joue Drives: actions tirées du réel, mais resituées dans un hors temps qui contredit leur réalité.
Drives est la deuxième installation vidéographique d’Erik Olofsen qui, la plupart du temps, ne travaille pas l’image et le mouvement, mais un espace tridimensionnel vidé de toute présence humaine, comme il l’a fait l’an dernier, à la Chambre blanche, où il a déconstruit et reconstruit l’espace disponible afin d’en faire émerger de petites constellations (voir Possible Worlds sur le site de l’artiste – www.erikolofsen.com ou celui de la Chambre Blanche - www.chambreblanche.qc.ca). En tant qu’installation vidéographique, Drives fait donc presque figure d’exception dans les cartables d’Erik Olofsen, qui s’étonne lui-même devant ses rares incursions dans le monde de la vidéo, surtout que, chez lui, le travail de l’image en mouvement semble appeler une présence humaine. Mais cette exposition a au moins un point commun avec l’ensemble de son œuvre plastique: la lumière, qui remplace souvent les couleurs. Souvent très blanche dans ses installations, la lumière joue des nuances dans Drives, que l’on peut aussi voir comme l’œuvre d’un peintre de formation qui préfère se définir comme sculpteur ou celle d’un photographe qui travaille la lumière comme un sculpteur. Quoi qu’il en soit, le cinéma apparaît en toile de fond de l'exposition.
Un nouvel acteur dans le réseau des arts visuels
Ouverte en 1978, la Galerie des arts visuels a longtemps roulé sa bosse sans direction formelle, accueillant au passage ceux ou celles qui cherchaient un espace d’exposition, sans bruits ni fracas et, surtout, sans faire de différence dans le paysage des arts visuels au Québec. Mais le passé n’est pas garant de l’avenir et il se pourrait fort bien que, sous l’influence de sa nouvelle direction, la galerie devienne un joueur incontournable dans le réseau des arts visuels. Entrée en fonction en septembre dernier, Lisanne Nadeau avoue d'emblée que «loin d’être un simple lieu d’accrochage, la Galerie des arts visuels doit d’abord stimuler la création, les discussions, les débats et les échanges au sein de la communauté universitaire tout en s’ouvrant sur l’extérieur, sur la ville en premier lieu». Elle entend faire de ce lieu une véritable galerie d’art, sans toutefois renier sa nature universitaire. En quelques mois seulement, la dame a fait faire des pas de géants à la galerie qui, désormais, s’ouvre sur l’art médiatique, amorce ses activités publiques en même temps que ses voisines ou concurrentes, offre des cachets aux exposants et développe des partenariats afin de consolider sa présence dans le paysage des arts visuels, entre autres. Et ce n’est là qu’un début, mais un début qui, déjà, «suscite l’enthousiasme au sein du milieu», affirme Lisanne Nadeau. Enthousiasme qui a été soutenu tout au long de l’année par une programmation de taille.
La Galerie des arts visuels loge dans l’édifice de la Fabrique, au 295, boulevard Charest Est. Heures d’ouverture: de 12 h à 17 h du mercredi au dimanche.