
Pour les besoins de leur recherche, le stress a été quantifié à partir du taux de cortisol — une hormone liée au stress — contenu dans des échantillons de salive récoltés au réveil des enfants ou à leur arrivée au laboratoire en avant-midi. Les chercheurs ont établi le type d’environnement familial dans lequel vivaient ces enfants à partir des réponses fournies par les mères à des questionnaires portant sur certains facteurs de risques qui ont un effet connu sur le taux de cortisol: tabagisme de la mère pendant la grossesse, faible revenu familial, faible niveau d’éducation, monoparentalité, maternité à un très jeune âge, petit poids de l’enfant à la naissance et agressivité de la mère envers son enfant. Les milieux qui cumulaient au moins trois facteurs de risques ont été classés dans la catégorie «contexte familial difficile»; 21 % des enfants provenaient de ce type de familles. Les chercheurs ont ainsi pu comparer les taux de cortisol de vrais jumeaux (homozygotes) et de faux jumeaux (dizygotes) provenant de milieux difficiles ou favorables, ce qui leur a permis de départager l’effet des gènes et du milieu sur le stress.
Premier constat: environ 30 % des variations du taux de cortisol au réveil est attribuable aux gènes, peu importe le contexte familial. Deuxième constat: le contexte familial semble moduler l’expression des gènes pour ce qui est du niveau de cortisol en matinée. En effet, chez les enfants qui évoluent dans un contexte familial difficile, la part des gènes est majeure — près de 70 % —, alors qu’elle est presque nulle chez les enfants provenant de milieu familial favorable.
Ces résultats, obtenus chez des enfants de six mois, contrastent avec ceux que la même équipe de recherche a publiés il y a un an après avoir étudié la même question chez des enfants de 19 mois. Les données révélaient alors que les gènes expliquaient 40 % des variations de cortisol chez les enfants vivant dans un contexte familial favorable alors que, dans un contexte familial difficile, l’effet des gènes plongeait pratiquement à zéro. «Il semble qu’entre 6 et 19 mois, à mesure que le système de réponse physiologique au stress de l’enfant se développe, l’effet d’un contexte familial difficile prend le dessus sur les gènes comme principal facteur modulant l’expression du taux de cortisol», avance Michel Boivin. L’analyse de nouvelles données provenant d’un groupe de jumeaux de six ans permettra d’établir si cette hypothèse tient la route. Si c’est le cas, les résultats obtenus chez les enfants de 19 mois devraient aussi être observés chez les enfants plus âgés.
Ces recherches mettent en lumière le fait que, chez les très jeunes enfants, un contexte familial difficile exacerbe la vulnérabilité génétique au stress avant de s’imposer comme principal déterminant. À long terme, des problèmes d’adaptation ou des problèmes de santé physique peuvent en résulter, signale Michel Boivin. «C’est pourquoi il est important de détecter les familles qui présentent plusieurs facteurs de risques afin de leur fournir un soutien préventif qui favorisera le développement de leur enfant», souligne le chercheur.