
En quelques mois, les douze harfangs munis d'un émetteur ont livré des renseignements inédits sur les moeurs de l'emblème aviaire du Québec.
— Gilles Gauthier
Lors de l’été 2007, les chercheurs ont capturé douze femelles alors qu’elles nichaient sur l’île Bylot et ils les ont munies d’un harnais doté d'un émetteur permettant un suivi satellitaire de leurs déplacements. Neuf de ces harnais ont fonctionné pendant plus d’un an et huit livrent toujours des données via Internet aux ordinateurs des chercheurs. Première surprise: les harfangs sont des oiseaux marins pendant une partie de l’année. «Six des sept oiseaux qui sont demeurés dans le Nord tout l’hiver ont passé entre un et trois mois au large des côtes, précise Gilles Gauthier. Nous croyons qu’ils se rendent aux polynies (des étendues d’eau libres de glace dans les mers nordiques) pour y chasser des oiseaux comme les eiders.»
Deuxième surprise: l’extrême variabilité des migrations automnales. Alors que la plupart des harfangs ont migré quelques centaines de kilomètres vers le sud, deux autres ont migré vers le nord, un autre vers la pointe est de Terre-Neuve et un aventurier a même choisi le Dakota du Nord comme destination soleil. En moyenne, 1727 kilomètres séparent le lieu de nidification et lieu d’hivernage de chaque oiseau, mais cette distance varie de 410 à 3245 kilomètres. «Des données obtenues au cours des derniers jours nous indiquent que plusieurs oiseaux sont retournés au même site d’hivernage que l’an dernier, signale Gilles Gauthier. Ainsi, notre grand vagabond est retourné au Dakota du Nord.»
Par ailleurs, contrairement à la plupart des espèces, les femelles harfangs ne retournent pas au même site de nidification d’une année à l’autre. En moyenne, 733 kilomètres séparent leur nid de 2007 et celui de 2008. «C’est la plus grande différence jamais rapportée parmi toutes les espèces d’oiseaux. En général, on parle d’au plus de 10 kilomètres d’écart», souligne le professeur. Du coup, les chercheurs ont prouvé que le harfang pouvait nicher avec succès lors de deux années consécutives, ce qui constitue une autre surprise. Les femelles choisiraient leur site de nidification en fonction de l’abondance locale des lemmings, leur principale proie.
Invasion hivernale
L’été 2008 a été faste côté lemmings dans l’est de l’Arctique alors que les chercheurs ont observé un pic dans le cycle d’abondance de ces petits rongeurs. «Lorsqu’il y a beaucoup de lemmings, il y a plus de jeunes harfangs qui survivent et qui prennent leur envol», observe Gilles Gauthier, qui rappelle que lui et son équipe avaient prédit une invasion de harfangs dans le sud du pays cet hiver. Contrairement à ce qu’on croyait, ce n’est donc pas lorsque la nourriture est rare dans l’Arctique que les harfangs poussent une pointe vers le sud. «Les adultes ont tendance à demeurer dans le Nord pendant l’hiver, en dépit des conditions difficiles, et ils nichent dès le mois de mai. Les jeunes, eux, ne se reproduisent pas avant l’âge de deux ans, alors ils migrent vers le sud pour profiter de conditions hivernales plus clémentes.» Les observations ornithologiques des dernières semaines tendent à donner raison aux chercheurs puisque ce sont surtout des jeunes de l’année qui sont signalés par les ornithologues amateurs.
Depuis quelques jours, de nombreux harfangs ont été vus dans le sud du Québec et de l’Ontario. Au point où la présence de cette espèce, qui apprécie les grands espaces ouverts, peut parfois devenir problématique. «Il y aurait au moins six harfangs à proximité des pistes de l’aéroport international Trudeau à Montréal, souligne Gilles Gauthier. Un employé de l’aéroport nous a d’ailleurs contactés pour savoir comment les éloigner des pistes afin d’éviter les collisions avec les avions.»