
Le tableau des inscriptions aux programmes universitaires, brossé par la titulaire de la chaire, Nadia Ghazzali, montre des tendances inquiétantes. De 1999 à 2005, les inscriptions dans tous les programmes de baccalauréat ont augmenté de 10 % au Québec. Dans les programmes à contenu scientifique, elles ont également bondi de 11 %, mais cette hausse s’explique essentiellement par une augmentation de 31 % dans les programmes des sciences de la santé. En sciences pures et en génie, les inscriptions n’ont augmenté que de 0,5 % et plusieurs programmes ont connu d’importantes baisses de fréquentation. Cette situation résulte en partie d’une redistribution des effectifs féminins dans les programmes universitaires: les femmes optent massivement pour les sciences de la santé (hausse de 52 %) et pour l’administration (hausse de 20 %), au détriment des sciences pures et du génie (baisse de 13 %). «Pourquoi les femmes tournent-elles le dos aux carrières en sciences et génie alors que les perspectives d’emploi sont excellentes?», s’interroge Nadia Ghazzali.
Évidemment, cette question préoccupe les facultés de sciences et de génie, mais elle interpelle aussi une société comme la nôtre qui mise désormais sur l’économie du savoir pour maintenir son niveau de vie. «Nous faisons face à une pénurie de main-d'oeuvre spécialisée, a rappelé Sylvie Dillard, du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. D’ici 2016, 1,3 million d’emplois qualifiés devront être comblés au Québec. Il est essentiel de développer une véritable culture scientifique pour faire face aux défis qui nous attendent», a-t-elle plaidé.
Le milieu et les valeurs comptent
Si Claudie Arsenault, étudiante au cégep Garneau, a choisi d’étudier en sciences, ce n’est pas pour voler au secours de l’économie ou pour maintenir le niveau de vie des Québécois. «Il y a plusieurs mauvaises raisons de se diriger vers les programmes de sciences au collégial, a-t-elle rappelé. Se garder toutes les portes ouvertes ou faire plaisir à ses parents en font partie. Mais, comme ces programmes sont très exigeants, qu’il faut beaucoup travailler et que ce n’est pas facile tous les jours, il n’y a qu’une seule bonne raison pour choisir les sciences: il faut que ça nous intéresse. Sinon le risque de décrochage est très élevé.»
Simon Larose, professeur au Département d'études sur l'enseignement et l'apprentissage à la Faculté des sciences de l’éducation, s’est d’ailleurs penché sur le problème de décrochage chez les étudiants inscrits en sciences pures ou appliquées au cégep et à l’université. Le suivi de 729 jeunes effectué par son équipe a révélé que les étudiants qui persévèrent davantage dans ces programmes proviennent d’un milieu empreint d’une certaine culture scientifique: leurs proches oeuvrent ou étudient en sciences, ils ont une culture scientifique personnelle et leur milieu familial les y encourage, ils ont un intérêt pour le domaine scientifique, etc. Marc Charland, de l’Association des comités de parents du Québec, abonde en ce sens. «Les parents ont un rôle à jouer pour développer l’intérêt des jeunes pour la science, mais il faut que l’école contribue à inculquer une culture scientifique aux enfants dès le primaire. Malheureusement, la plupart des enseignants ont suivi leur dernier vrai cours de science alors qu’ils étaient en secondaire IV ou V. Il faudrait mieux les préparer à transmettre une culture scientifique aux jeunes.»
Les caractéristiques et les valeurs propres aux jeunes d’aujourd’hui pourraient expliquer en partie la désaffection des jeunes pour les sciences, croit Hélène Lee-Gosselin, professeure à la Faculté des sciences de l’administration. «Ils recherchent l’immédiateté, ils vivent dans le moment présent et ils aspirent à un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle», souligne-t-elle. Transposées au choix d’un domaine d’études, ces particularités pourraient les conduire à opter pour un programme qui présente un intérêt immédiat à leurs yeux plutôt qu’un programme qui leur offre des perspectives d’emploi intéressantes, mais dans lequel ils ont peu d’intérêt, à plus forte raison s’il s’agit d’un domaine «peu populaire» comme les sciences et le génie. «Je constate aussi que les étudiants accordent beaucoup de place à leur vie personnelle et que ceci impose une limite au temps qu’ils acceptent de consacrer à leurs études. Comme les programmes en sciences sont «réputés exigeants», il est possible que des étudiants choisissent de ne pas les considérer, car ils ne veulent pas y consacrer tout leur temps».
Malgré tout, l’intérêt des jeunes pour la science est encore présent de nos jours, estime Robert Plamondon, directeur du Centre de démonstration en sciences physiques du cégep Garneau. «Nous faisons des conférences démonstrations dans lesquelles nous situons historiquement une expérience de façon à lui donner un sens et une portée. Je peux vous assurer qu’il y a autant d’émerveillement et de curiosité pour la science chez les jeunes d’aujourd’hui qu’il y en avait dans notre temps. Il n’existe pas de solutions miracles pour amener plus de jeunes à étudier en sciences et en génie, sauf l’éducation. Créer une culture scientifique, c’est long, c’est exigeant, mais c’est la seule voie qui donne des résultats durables.»