Patrice Roy avait fait la manchette en août dernier lorsque le véhicule blindé léger dans lequel il prenait place avec son caméraman Charles Dubois, des soldats et un interprète a été soufflé au contact d’un engin explosif artisanal dans une zone de combats située à l’ouest de Kandahar. Le journaliste est sorti indemne de l’explosion, mais le caméraman a subi une blessure grave à la jambe qui a nécessité l’amputation. Deux militaires, ainsi que l’interprète, ont été tués. «Sur le plan personnel, aucun reportage ne peut justifier qu’un collègue de travail perde une jambe, a expliqué le journaliste de la SRC. Mais Charles et moi étions conscients des risques et nous les avons assumés. Sur le plan collectif, je pense que ce serait un drame encore plus grand si nous renoncions à aller sur les champs de bataille pour témoigner de ce qui s’y passe. Ce serait irresponsable de laisser 2 200 soldats faire ce qu’ils veulent là-bas.» Selon lui, la présence des médias canadiens en Afghanistan n’a pas pour but d’augmenter l’adhésion de la population canadienne au mandat de l’armée dans ce pays. «Nous ne sommes pas des courroies de transmission de l’armée, a-t-il dit, mais des témoins importants de ses actions.»
Là-bas, les forces armées prennent les journalistes en charge pour leur sécurité. En retour, ceux-ci renoncent à une partie de leur indépendance professionnelle. «Le journaliste ne peut plus exercer son libre arbitre ni choisir de couvrir tel ou tel sujet, a indiqué Patrice Roy. Il lui reste néanmoins un espace dans lequel il peut travailler et le faire de façon responsable.» La profonde distance culturelle qui sépare les représentants des médias des militaires crée une tension constante entre les uns et les autres. Selon le journaliste, l’armée veut donner de la guerre une image plutôt aseptisée. Dans le reportage qu’il a finalisé une fois rentré au pays après l’explosion de la bombe artisanale, Patrice Roy s’est «permis de tout montrer». «J’ai eu la chance de montrer la guerre dans son horreur la plus totale, a-t-il expliqué. Des gens que l’on voit durant le reportage meurent à la fin. Le reportage met cette fin en parallèle avec le commentaire de l’armée disant que l’opération a été un succès. J’ai eu cette chance de montrer la réalité comme elle s’est passée.»