Lorsqu’on regarde les immenses complexes hôteliers où descendent des hordes de touristes dans la péninsule du Yucatán, située au sud-est du Mexique et dont le centre de villégiature de Cancún constitue le pôle d’attraction, on a peine à s’imaginer qu’il y a moins d’une trentaine d’années, la richesse principale de la région était le commerce d’une petite plante, le henequén, dont on extrayait des fibres textiles pour fabriquer les cordages des bateaux. Et pourtant, avec la libéralisation et la mondialisation de l’économie mexicaine, le paysage du Yucatán a complètement changé. Les maquiladoras, ces usines d’assemblage de vêtements destinés à l’exportation aux États-Unis, ont poussé comme des champignons, donnant de l’emploi à des milliers de Mexicains. Dès le milieu des années 1980, le tourisme est venu solidifier l’économie du Yucatán en créant des emplois et en attirant des capitaux étrangers. Toutefois, malgré les efforts du gouvernement pour promouvoir l’industrie touristique à la grandeur de l’État et ainsi motiver les Mexicains à ne pas quitter leur région, le flux migratoire vers Cancún, Mérida, la capitale, et même vers les États-Unis, demeure important. C’est là que le bât blesse quant à la décentralisation de l’économie du Mexique, constate Catherine Vézina, dans son mémoire de maîtrise en histoire ayant pour titre Regard historien sur une option contemporaine de développement: évolution des politiques et du développement touristique au Yucatán dans un contexte économique et social en changement, de 1984 à 2005.
«Pour attirer la clientèle hors des sentiers battus que sont entre autres Cancún et la Riviera Maya, certains dirigeants politiques mexicains ont mis l’accent au début des années 2000 sur la petite entreprise artisanale, la restauration de sites archéologiques alternatifs et la mise en valeur de sites culturels, tout cela dans le cadre de la revalorisation de la culture maya, constate Catherine Vézina. L’écotourisme est depuis à la mode et on dirige les efforts en ce sens. On souhaite aussi attirer de nouvelles clientèles européennes et canadiennes, en plus de la traditionnelle clientèle américaine.»
Le cas de Chichén Itzá
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et plusieurs destinations touristiques d’importance restaurées à grands frais en région par le gouvernement n’ont pas donné les résultats escomptés. Pensons à La route des cenotes (puits naturels) à Cuzama, baptisé site écotouristique, dont les infrastructures insuffisantes et l’accès difficile n’ont rien pour attirer les touristes, même ceux qui voyagent sac au dos. Des projets aux contours plutôt flous comme Mundo Maya gérés depuis Mexico tiennent une grande place dans les discours mais moins dans la pratique, constate Catherine Vézina. D’autres essais de décentralisation se sont soldés par un quasi-échec: c’est le cas de Chichen Itzá, ancienne ville maya considérée comme l’une des sept nouvelles merveilles du monde et près de laquelle on a construit l’aéroport de Kua, pouvant accueillir autant les vols internationaux que des petits avions transportant des touristes provenant de Cancún .
«Déjà aux prises avec un manque d’achalandage, le terminal aérien de Kua est aujourd’hui désert, les cinq compagnies aériennes opérant à cet endroit ayant décidé d’arrêter leurs opérations le lendemain du 11 septembre, rapporte Catherine Vézina. Les vendeurs ambulants ne sont pas les bienvenus sur le site, alors que certains groupes militant pour la défense des droits de l’homme croient au contraire que ces acteurs de l’économie informelle y ont leur place, puisqu’ils sont chez eux.» Par ailleurs, bien que Chichén Itzá soit reconnu par l’UNESCO comme faisant partie du patrimoine mondial, les terrains du site appartiennent à un particulier, Fernando Barbachano Gomez-Rul, qui pourrait bien invoquer le droit à la propriété privée enchâssé dans la Constitution mexicaine si jamais la volonté d’exproprier cette zone archéologique de la part du gouvernement du Yucatán se concrétisait. Une somme de 18 000 000 pesos (environ deux millions de dollars américains) aurait ainsi été offerte au richissime homme d’affaires pour qu’il cède ces terrains d’une valeur inestimable au gouvernement. Mais ceci est une autre histoire, de conclure Catherine Vézina.