Spécialiste de la poésie et de l’essai, François Dumont, directeur du Centre d’études Hector-de Saint-Denys-Garneau, a adoré se transformer en généraliste de la littérature pendant les huit ans consacrés à la recherche et à l’écriture de l’ouvrage Histoire de la littérature québécoise. Récits de voyage, épisodes historiques, correspondances, pièces de théâtre, romans, chroniques, les chercheurs ont choisi de plonger dans la matière littéraire au sens large, sans se soucier des définitions canoniques. Pour sélectionner des textes ou décider de leur importance dans l’ouvrage en préparation, ils s’arrêtaient à l’expérience d’écriture procurée par la lecture des écrits. Des exemples? «La présence saisissante de Paul Le Jeune décrivant le Nouveau Monde dans les Relations des Jésuites en 1632, répond le professeur. Quand il écrit: "Je m’arrête, car mon encre va geler", on est là, avec lui. Les écrits de Marie de l’Incarnation sur son expérience consentie de l’épreuve en arrivant en Nouvelle-France nous ont frappés aussi.»
Cette liberté prise avec les classements traditionnels favorise les découvertes ou les redécouvertes. Louis Dantin, par exemple, qui préface la première édition des poèmes de Nelligan en 1904, a laissé une riche correspondance. «Ses lettres écrites à Alfred DesRochers, ses textes critiques, mais aussi les avis et les critiques qu’il donnait aux poètes féminines dans les années 1930 procurent une grande satisfaction littéraire», assure François Dumont. La présentation des chroniques d’un Arthur Buies à la plume très acérée ou des ouvrages historiques de François-Xavier Garneau permet d’ailleurs de redorer le blason du 19e siècle, une époque souvent jugée ennuyeuse par les lecteurs contemporains. Le professeur recommande notamment la lecture de la correspondance de Crémazie, bien plus intéressante que ses poèmes trop éloignés de notre conception moderne de la poésie. Selon lui, le fait que les textes les plus intéressants n’appartiennent pas à la littérature pure s’explique par des raisons historiques. «François-Xavier Garneau se destinait à la carrière de poète, raconte François Dumont. Les déclarations de Lord Durham décrivant les Canadiens français comme un peuple sans histoire le poussent à changer d’orientation. Il veut accomplir son devoir et ne se permet pas de faire de la "littérature gratuite".»
Les «petites littératures»
Fatalement, l’histoire de la littérature québécoise entretient donc des liens très étroits avec celle de la nation. Dans leur préface, les auteurs rappellent d’ailleurs que dans les «petites littératures», comme la littérature yiddish ou la littérature tchèque, la question nationale devient déterminante, comme Franz Kafka l’observait dans son journal. L’ouvrage analyse donc la place occupée par les écrivains d’ici dans le débat national et le rôle que les uns et les autres y jouent. Cependant, à leur grande surprise, les chercheurs ont constaté que chaque période historique constitue davantage une tentative de renouvellement de ce qui précède qu’une rupture. «Après la conquête, par exemple, les auteurs tentent de créer une littérature nationale, souligne François Dumont. De la même façon, ils veulent revenir à cet esprit à la fin du 19e siècle avec la modernité.»
Au passage, Histoire de la littérature québécoise bouscule quelques idées largement répandues. Dans ce livre, l’avènement d’une littérature made in Québec débute non pas en 1960 avec l’élection de Jean Lesage mais bien dès 1945, puisque des écrivains marquants comme Gabrielle Roy, Alain Grandbois et Anne Hébert démarrent leur carrière à ce moment-là. Autre choix important, celui d’inclure des œuvres rédigées en anglais, comme le souligne François Dumont. «Cela nous semblait important de se placer du point de vue du lecteur, et de parler d’auteurs comme Frank R. Scott, qui apparaît dans des textes de Jacques Ferron ou Trevor Fergusson. Onyx John, qui se déroule dans le quartier Parc-extension à Montréal, contribue aussi au regard québécois sur notre époque.»
L’ouvrage Histoire de la littérature québécoise laisse une grande place aux œuvres, dans le but de donner une idée de leur contenu et de la place qu’elles occupent dans une époque précise. Les extraits abondent donc, une façon d’inciter les lecteurs à goûter pleinement l’inspiration d’un auteur. Fait inusité, les trois auteurs ont mis leur prose en commun, dans un souci d’unité de ton, chacun réécrivant le brouillon de l’autre. Le style clair et limpide rend la lecture aisée et accessible à un public curieux. Cet ouvrage de référence a toutes les qualités requises pour durer.