C’est ce que révèle Catherine Turbide dans son mémoire de maîtrise en service social dans lequel elle examine le point de vue que portent des adolescentes adoptées à l’international sur leurs relations sociales et familiales et sur leur identité. Pour les fins de son étude, Catherine Turbide a interrogé 13 adolescentes âgées entre 14 et 17 ans vivant dans les grandes régions de Québec et de Montréal. Sept d’entre elles étaient originaires d’Asie, quatre d’Amérique latine, une d’Europe de l’Est et une d’Haïti. Les jeunes filles ont été adoptées en moyenne à l’âge de 11 mois.
«Si certaines rapportent avoir été victimes, à l’école primaire, de quolibets et de railleries en raison de leurs yeux bridés ou de la couleur de leur peau, elles affirment que tout est à peu près rentré dans l’ordre à l’adolescence, explique Catherine Turbide. Mais ces manifestations de racisme ont laissé des traces chez certaines d’entre elles, notamment sur le plan de l’estime de soi.» Plusieurs ont également dit avoir été blessées lorsqu’on leur a posé des questions intrusives sur l’histoire de leur adoption, du type : «Est-ce que tes vrais parents t’ont abandonnée?» ou «Aimerais-tu ça connaître tes parents d’origine?» Par ailleurs, les filles fréquentant un milieu multiethnique composé en majorité de personnes de la même origine qu’elles disent avoir été parfois confondues avec des personnes immigrantes, et du coup, avoir dû préciser à leur interlocuteur qu’elles avaient été adoptées. Dans cette foulée, une des participantes d’origine latino-américaine a avoué son malaise d’avoir été incapable de répondre à un interlocuteur qui s’était adressé à elle en espagnol. «Je comprenais un peu ce qu’il voulait dire mais je ne pouvais pas lui répondre. En dedans, ça m’a fait mal», a rapporté la jeune fille.
Toute la différence
Par ailleurs, onze participantes sur treize dressent un portrait positif de leurs relations familiales, appréciant le respect et l’ouverture d’esprit dont font preuve leurs parents par rapport à leur adoption. Si elles apprécient que leurs parents les mettent en contact avec leur pays d’origine, que ce soit par les livres, les photos, la cuisine, les voyages et les contacts avec des personnes de même origine, en revanche, elles n’aiment pas se faire constamment remettre sur le nez leur différence. «Quand ma mère voit un reportage sur la Chine à la télévision et qu’elle insiste pour que je le regarde avec elle, ça m’agace», a révélé une jeune fille d’origine chinoise. En pleine quête identitaire comme on l’est à l’adolescence, certaines participantes ont trouvé difficile d’entendre parler des liens génétiques entre les parents et leurs enfants dans le cadre des cours de biologie, par exemple. Ignorantes de leur bagage génétique, d’autres s’inquiètent parfois de leur avenir et se demandent si les membres de leur famille biologique ont des antécédents suicidaires, de crise cardiaque ou de cancer. Elles s’interrogent aussi sur la vie qui aurait été la leur si elles n’avaient pas été adoptées.
«Pour ces jeunes, le fait de ne pas connaître leurs origines fait en sorte que l’histoire personnelle, ou ce qu’on en sait, prend une place importante dans la définition de soi et dans les rapports aux autres, note Catherine Turbide. Car savoir d’où je viens, c’est savoir qui je suis.»