C’est l’un des constats qu’a livrés le Haut commissaire des Nations unies pour les Droits de l’Homme, Louise Arbour, lors d’une conférence prononcée le 18 avril, au pavillon Alphonse-Desjardins. Le matin même, la juriste avait reçu un doctorat d’honneur des mains du recteur Michel Pigeon qui n’a pas manqué de souligner la carrière exceptionnelle de cette «grande humaniste». «Une carrière comme celle de Louise Arbour est non seulement un exemple pour nos étudiants et professeurs de droit, mais aussi et surtout un modèle pour l’ensemble de notre communauté en quête de paix et de justice pour tous», a déclaré le recteur.
On sait que c’est à la lumière de son engagement pour la justice et les droits des plus démunis que Louise Arbour a été nommée, dans les années 1990, procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Elle a également été juge à la Cour suprême du Canada. Invitée par l’Institut québécois des hautes études internationales, Louise Arbour a prononcé devant un public des plus attentifs une conférence portant sur les défis des droits humains dans un monde en transition.
La peur de l’autre
«Dans le cadre de mes fonctions, j’ai eu l’occasion d’avoir une perspective particulière de ce qui sous-tend les gestes les plus spontanés d’humanité, de générosité et de compassion, et aussi de ce qui se cache derrière les pires atteintes à la dignité humaine, a expliqué Louise Arbour. La peur est à la fois la meilleure et la pire des conseillères. Elle déclenche un sentiment d’alerte qui peut être salvateur, de même qu’elle peut produire une réponse prématurée ou irrationnelle. Face au terrorisme, la politique de la peur exige un abandon de la liberté au profit de la fausse sécurité, du secret et du profilage racial. Face à la guerre, elle provoque une escalade du militarisme, de la répression et de l’endoctrinement. Devant la pauvreté extrême, la politique de la peur mène à un effet pervers à double face: d’un côté, elle octroie un outil de survie inapproprié pour les pauvres qui conduit au radicalisme et à l’extrémisme religieux tandis que, de l’autre côté, elle offre un outil de préservation aux riches qui mène à l’exclusion, au développement d’une mentalité de fermeture et à la surconsommation. En somme, les conséquences d’une politique de la peur se traduisent en racisme et en xénophobie qui ne sont souvent en réalité que la peur de l’autre.»
Rationalité et impartialité
Selon Louise Arbour, le système international de protection des droits de la personne, tout comme la Charte canadienne des droits et libertés, offrent la seule solution de rechange légitime et raisonnée aux réactions irrationnelles causées par la peur. Faisant sienne l’opinion de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, Louise Arbour croit qu’il ne peut y avoir de sécurité et de développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. Ces droits sont en quelque sorte un antidote à la politique de la peur et procurent un cadre pour la résolution de conflits qui se fonde sur la rationalité, l’impartialité et la raison, plutôt que sur la force et l’intransigeance. Quant aux accommodements raisonnables, Louise Arbour estime qu’«ils sont une reconnaissance générale que les droits, nos droits, existent pour tous, même pour les autres, depuis ceux qui arrivent de loin avec d’autres coutumes jusqu’à ceux, étrangers, qu’on soupçonne de grave criminalité». Ce qui n’empêche pas que l’insécurité qui marque notre société a des effets pervers sur la protection des droits fondamentaux reconnus par les grands traités internationaux et les documents constitutionnels de plusieurs pays.
Invitée à parler de son expérience sur le terrain, que ce soit au Rwanda, en ex-Yougoslavie et plus récemment au Soudan, Louise Arbour a dit se sentir motivée par la volonté des populations à se sortir du bourbier dans lequel les différents conflits les ont plongées. «Je rencontre des personnes illettrées, mal nourries et qui vivent constamment dans la peur et l’insécurité, dit-elle. Au lieu de se décourager, elles cherchent la plupart du temps à améliorer leur qualité de vie. Cela m’encourage à aller de l’avant.»