L'agriculture québécoise vit présentement un paradoxe, a souligné le professeur. «Nous avons une agriculture forte qui repose sur des fermes familiales de plus en plus imposantes, dont la productivité est en hausse, mais on assiste en même temps à une dévitalisation du milieu rural. Il y a quarante ans, il y avait 30 fermes laitières dans le coin où je suis né. Il n’en reste que trois et la production totale de lait n’a pas diminué pour autant.»
Pour maintenir en opération les 32 000 exploitations agricoles existantes au Québec, il faudrait que 1 000 nouveaux producteurs s’établissent chaque année. «On est en situation de déficit parce qu'il y en a moins de 700», souligne-t-il. Le prix des fermes constitue un obstacle majeur: la valeur moyenne des fermes céréalières, laitières et porcines s'établit respectivement à 2,7, 2,4 et 1,5 M $, une somme astronomique pour la relève potentielle.
Autre obstacle, social celui-là, l'agriculture est en rupture de ban avec le reste de la société. Au cours des dernières années, les producteurs agricoles ont été pointés du doigt plus souvent qu'à leur tour en raison des impacts environnementaux de leurs activités. Les accusations ne venaient pas uniquement des urbains, mais aussi des voisins des producteurs. «Aujourd'hui, l'agriculture fait vivre moins de 15 % de la population rurale, souligne Doris Pellerin. Il y a des liens à reconstruire entre les producteurs agricoles et le reste du Québec.»
Les producteurs sont pris en étau entre d’une part les impératifs économiques qui militent en faveur d'une intensification de la production et d’autre part les exigences sociales qui réclament la durabilité des systèmes agricoles et le respect de l'environnement. Pour bien orienter le développement de leur entreprise de façon à en assurer la durabilité, ils doivent d'abord savoir où elle se situe. Avec l'aide de producteurs et de spécialistes du monde rural, le professeur Pellerin, ses collègues Diane Parent, Guy Allard, Anne Vanasse et Annie Brégard et les étudiants-chercheurs Valérie Bélanger et Donald Larochelle ont élaboré un outil à cette fin et ils ont entrepris de le mettre à l'essai sur des fermes laitières de Montérégie et du Bas-Saint-Laurent.
Cet outil comporte présentement trois dimensions - agroenvironnementale, économique et sociale –, mais une quatrième – entrepreneuriale celle-là – pourrait s'ajouter «parce qu'on s'est rendu compte que la personne assise sur le siège du conducteur joue un rôle prépondérant dans la durabilité d'une entreprise agricole», souligne le professeur Pellerin.