Ce n’est pas d’hier que l’être humain affectionne et protège sa ville, son quartier, son patelin. Mais cette sensibilité semble s’être particulièrement accrue au cours des 20 dernières années.
Effectivement, alors qu’on parlait davantage, il y a une vingtaine d’années, de grands regroupements pour la justice sociale ou pour de grandes luttes sociales, aujourd’hui, on parle plutôt de conscientisation et d’actions individuelles dans la société.
«Les manifestations monstres pour la protection de l’environnement à la Greta Thunberg sont toujours présentes et ont toujours leur place, évidemment, affirme Geneviève Cloutier, professeure à l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional et directrice du Centre de recherche en aménagement et développement. C’est juste qu’au cours des 20 dernières années, les prises de conscience sociales se sont renforcées sur le plan de l’individu. Bref, il y a maintenant une certaine individualisation, en termes de prise de conscience. Comme si, finalement, chaque être humain était davantage conscient qu’un simple effort de sa part, dans son quotidien, peut parfois changer des choses, globalement. Comme si cette phrase habitait de plus de plus l’humain: “Je dois m’en occuper.”»
Geneviève Cloutier est une véritable passionnée des interactions humaines et de l’espace urbain. Pas surprenant que ses recherches portent plus précisément sur l’aménagement urbain, les initiatives citoyennes, la participation publique dans les prises de décision ou encore sur notre adaptation aux changements climatiques.
Des grandes luttes sociales à l’implication citoyenne
«En réalité, ça fait plusieurs années que la population tente de participer à la prise de décisions, que ce soit sur des questions de développement urbain, de délocalisation, de rénovation, de démolition, etc., explique-t-elle. Par exemple, si on regarde la presse des années 1960-1970, on constate que la population s’exprimait déjà publiquement sur ces sujets et qu’elle revendiquait déjà d’être assise à la table des décideurs. On était alors à l’époque des grandes luttes sociales. Aujourd’hui, la population s’exprime et revendique autant, mais la grande différence, c’est que l’individu a saisi à quel point il a maintenant sa place, à quel point il a plus de poids dans les décisions. En fait, en 2021, c’est maintenant devenu clair que la participation citoyenne est devenue un incontournable.»
La professeure rappelle d’ailleurs à ce sujet l’effet-choc du documentaire Demain, sorti il y a quelques années, qui avait connu un énorme succès. Il évoquait à quel point de petites actions, de petits projets quasi invisibles, qui ne font pas la une des journaux et qui sont portés par un ou quelques individus sur la planète, peuvent parfois changer énormément de choses dans la qualité de nos milieux de vie et de l’environnement.
«Un individu peut, par exemple, ne jamais participer à des manifs, mais faire des choix de consommation qui sont très respectueux de la nature, ou encore être impliqué dans des projets avec son voisinage pour améliorer le milieu de vie du quartier, comme l’embellissement d’une ruelle, le réaménagement de la cour de récréation d’une école ou la création de petits jardins communautaires dans les espaces résiduels du quartier.»
Les travaux de recherche de Geneviève Cloutier et de son équipe révèlent en effet que, dans les projets communautaires qui prennent forme aux quatre coins de la province, le dénominateur commun est celui-ci: une nette volonté d’agir directement sur l’espace du quotidien et, surtout, de le faire soi-même (do-it-yourself), sans attendre l’intervention d’institutions ou de groupes. À ce titre, le verdissement urbain est de loin le mode informel qui est le plus populaire actuellement dans bon nombre de municipalités du Québec.
«Le verdissement urbain – qui se voit ici comme une démarche pour diminuer la proportion d’éléments minéralisés en ville – peut prendre différentes formes, tant sur les espaces privés que sur les espaces publics, précise la chercheuse. Les ruelles vertes, les carrés d’arbre, les saillies de trottoirs – où l’on peut décider, par exemple, de planter de jolies fleurs – sont des exemples de lieux d’intervention investis par les citadins pour la plantation de végétaux. Des plantations qui visent à améliorer la qualité du cadre urbain, tant sur le plan environnemental que sur le plan de la valeur économique et symbolique du milieu.»
Somme toute, cet engagement et cette prise de conscience individuelle plus accrus chez les citoyens ont souvent des répercussions qui vont bien au-delà de leur quartier, souligne la chercheuse. «L’arrivée des réseaux sociaux, survenue il y a une vingtaine d’années, a fait en sorte que, par exemple, le projet d’un petit groupe de cyclistes de Québec – qui réclame davantage de pistes cyclables – puisse finalement être réalisé en collaboration avec d’autres petits groupes de cyclistes de Denver, de Bordeaux ou de Mexico.»
Petite histoire de la chercheuse
Mais d'où vient cet intérêt et cette sensibilité de la chercheuse pour les besoins des communautés et les interactions humaines? La pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre. Son père est un éminent psychologue (et professeur émérite de l'Université Laval) et sa mère enseignait en service social au niveau collégial. Bien qu’elle se décrive comme une socialisante plutôt qu’une environnementaliste, la sensibilisation à la protection de l’environnement et la gestion de l’environnement urbain n’ont jamais été bien loin dans ses champs d'intérêt. Un certain voyage réalisé dans sa jeunesse aurait aussi marqué, dit-on, sa route.
«En 1993, alors que j’avais 17 ans, j’ai fait un échange et habité 3 mois dans une famille de Dortmund, en Allemagne. J’ai alors vu une façon de vivre et de consommer totalement différente de notre manière nord-américaine. Les Allemands étaient déjà vraiment avancés. Pour eux, il était déjà clair qu’une seule personne pouvait avoir un effet réel pour l’ensemble de la planète, qu'il s'agisse de système de tri des matières résiduelles, d’achat local, de transports en commun, etc. Ils étaient d’ailleurs déjà en mode d’économie d’énergie. Alors, se faire dire “Quand tu prends ta douche, tu arrêtes l’eau, tu te savonnes, puis tu te rinces après”, c’était plutôt marquant pour une jeune Québécoise (rires). Au Québec, nous étions alors tellement loin de ça!»
Et l’avenir?
Comment voit-elle l’avenir? «Je serai toujours de nature optimiste, dit-elle, mais je dois avouer que j’appréhende un éventuel essoufflement des groupes de citoyens et des organismes communautaires, qui misent beaucoup sur l’amélioration des espaces et, conséquemment, sur la qualité de vie, souligne la chercheuse. Beaucoup de gens s’impliquent de plus en plus bénévolement et avec cœur, en dehors de leurs heures de travail, mais avec si peu de ressources… Ils réalisent tellement de choses extraordinaires, en faisant plus avec moins! Les municipalités, de leur côté, n’ont malheureusement ni de sous ni de ressources à offrir. Il ne faut pas se le cacher, l’implication citoyenne s’avère de plus en plus un grand atout pour les villes. Or, selon moi, nous avons, en tant que société, une importante réflexion à faire sur notre santé collective. Cette santé se reflète, ne l’oublions pas, non seulement dans le logement social et dans les projets publics de logement, mais aussi et tout autant dans les projets d’espaces publics qui incitent à la rencontre – pas seulement pour consommer, mais aussi pour se reconnaître, simplement. Bref, il ne faut pas penser à changer les choses seulement dans une approche de performance, mais aussi en termes d’amélioration de la qualité de vie de chaque être humain.»
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