Martine Lizotte, diplômée d’un doctorat en océanographie, est la preuve qu’on peut conjuguer brillante carrière scientifique et vie de maman. Il n’empêche qu’elle a dû surmonter des défis pour se tailler une place dans ce milieu exigeant et hautement compétitif. «Mon parcours a été marqué par deux événements: la maternité et la parentalité en solo. Même si je n’ai jamais vécu de préjugés défavorables, j’ai constaté un manque de ressources. De plus, le milieu des sciences et du génie est marqué par un défi systémique lié à la méritocratie. Pour atteindre un idéal scientifique, on doit se dévouer purement à sa carrière, ce qui entre en conflit direct avec la maternité et les réalités domestiques.»
Depuis le début de sa carrière, cette professionnelle de recherche a participé à une vingtaine de campagnes océanographiques, totalisant plus de 20 mois en mer et en régions éloignées. À tout cela s’ajoutent de nombreux séjours à l’étranger pour assister à des congrès et des événements scientifiques. «L’enjeu de mobilité est grand dans le milieu de la recherche. Si on veut avoir une vie équilibrée qui favorise la mise en place de conditions d’harmonisation entre famille et travail, il faut pouvoir compter sur un réseau d’entraide, mais aussi faire des choix déchirants.»
Le 11 février, à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, Martine Lizotte prenait part à l’événement «Femmes en sciences et génie: vers des milieux plus inclusifs». L’initiative, organisée par Sentinelle Nord avec la collaboration de partenaires, a réuni des expertes et des experts des milieux universitaire et professionnel. Les discussions étaient animées par la journaliste Sophie-Andrée Blondin, à la barre de l’émission Les années lumière à Radio-Canada. L’objectif: réfléchir aux obstacles rencontrés par les femmes en sciences et en génie et aux pratiques à mettre en place pour instaurer des milieux plus inclusifs.
Le tout s’est déroulé sous la présidence d’honneur de la rectrice Sophie D’Amours. Dans son mot d’ouverture, l’ingénieure de formation a souligné l’importance de trouver des solutions en faveur du recrutement et de la rétention des femmes en sciences et en génie. Pour elle, un changement de culture radical s’impose dans les organisations. «Il faut s’efforcer de changer le système, au lieu d’essayer d’adapter les filles et les femmes au système actuel.»
Une parité loin d’être atteinte
Au Canada, les femmes occupent 23% des emplois en sciences naturelles, en technologies, en ingénierie et en mathématique. Le portrait dans les universités n’est pas plus reluisant. En 2016, les professeures en génie représentaient 14,9% de l’ensemble du corps professoral dans ce domaine. Chez les étudiants, seulement 20% des femmes s’inscrivent dans un programme en science, en technologie, en ingénierie ou en mathématique.
«C’est très surprenant, réagit Sophie Brière, professeure au Département de management et directrice de l’Institut Femmes, Société, Égalité et Équité. Avec l’accès à l’éducation au Québec, le bassin d’expertise et les nombreuses initiatives pour encourager les filles à se lancer en sciences, on a de la difficulté à expliquer ces écarts.»
Les stéréotypes restent l’un des plus gros obstacles quand il est question de réduire l’écart entre les sexes. Les sciences ne sont pas faites pour les femmes? On ne peut plus faux, répond Sophie Brière. «Si des femmes s’inscrivent en médecine à l’université, c’est parce qu’elles sont bonnes en sciences au cégep. Pourquoi se dirigent-elles en médecine et non en sciences et génie? Le milieu universitaire a des réflexions à faire à ce sujet. En plus de faire la promotion de secteurs d’activités qui intéressent davantage les femmes, comme la biologie ou l’environnement, les universités doivent réfléchir aux façons de les attirer dans des domaines traditionnellement masculins, comme la physique.»
Martine Lizotte insiste sur le besoin de proposer des modèles féminins inspirants. «Les médias, par exemple, pourraient faire une plus grande place aux femmes parmi les experts qu’ils interviewent. De leur côté, les femmes en sciences et en génie ont un gros rôle à jouer pour sensibiliser la relève. Pour ma part, je m’implique beaucoup dans les cégeps et les écoles secondaires. Dès qu’il y a une occasion, je partage ma passion pour l’océanographie. C’est ainsi que je me suis intéressée moi-même aux sciences, grâce à une femme inspirante qui m’a ouvert les yeux sur les possibilités de carrière.»
En tout, quelque 130 personnes ont assisté à l’événement, en plus de 70 internautes qui ont suivi les échanges en webdiffusion. Parmi les autres experts qui ont pris la parole figurent André Zaccarin, doyen de la Faculté des sciences et de génie, Ève Langelier, titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie, Maryse Lassonde, présidente du Conseil supérieur de l’éducation, Janice Bailey, directrice scientifique des Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies, et Bibiana Pulido, directrice du Réseau interuniversitaire québécois pour l'équité, la diversité et l'inclusion.