La fréquence et la durée des épisodes de sécheresse devraient s'intensifier au cours des prochaines décennies en raison des changements climatiques. L'une des façons de tempérer les répercussions écologiques et économiques de ces stress hydriques sur les forêts est de reboiser les parterres de coupe avec de jeunes arbres sélectionnés génétiquement pour leur résistance à la sécheresse. Pas simple toutefois de repérer, dans le volumineux génome des arbres – celui de l'épinette blanche contient plus de 30 000 gènes –, quels gènes permettent d'affronter les périodes de sécheresse et de rebondir rapidement par la suite.
Un pas important en ce sens vient toutefois d'être franchi par une équipe de recherche qui publie ses travaux dans la revue Molecular Ecology. Grâce à une étude combinant des méthodes classiques d'analyse de croissance des arbres, des tests génomiques et des tests d'expression des gènes, cette équipe est parvenue à repérer 8 gènes étroitement associés à la résistance à la sécheresse chez l'épinette blanche.
C'est grâce à des épinettes blanches plantées il y a quatre décennies sur un site expérimental de Ressources naturelles Canada, situé dans la réserve faunique Mastigouche au Québec, que les chercheurs ont pu réaliser cette percée. Leurs analyses ont porté sur 1473 arbres cultivés sur ce site à partir de graines récoltées dans 43 localités du Québec, depuis la frontière américaine jusqu'au 50e parallèle. «La postdoctorante Claire Depardieu, auteure principale de l'étude, a produit les courbes de croissance pour chacun de ces arbres à l'aide de leurs cernes annuels. C'est comme si nous avions accès au dossier médical de chacun d'eux. La sécheresse survenue en 2001-2002 a créé des conditions permettant de repérer les arbres qui ont rapidement rebondi par la suite et ceux qui ont moins bien fait», explique le responsable de l'étude, Jean Bousquet, du Département des sciences du bois et de la forêt, du Centre d'étude de la forêt et de l'Institut de biologie intégrative et des systèmes.
L'un des constats de cet exercice est que les arbres issus de graines provenant de milieux secs ont, en moyenne, une meilleure croissance et une meilleure résilience à la sécheresse. «Il n'est pas nécessaire de sacrifier un caractère au profit de l'autre. Nos calculs montrent que la résilience à la sécheresse dépend à 30% de facteurs génétiques. Il est donc possible de sélectionner des arbres qui possèdent ce caractère», précise le professeur Bousquet.
Encore fallait-il trouver les gènes en cause. Les chercheurs ont donc comparé le génome des arbres résilients à la sécheresse à celui des arbres qui se relevaient moins bien de ce stress, afin de cerner les gènes qui intervenaient dans le processus. Il en est ressorti une liste de 285 gènes. Ils l'ont ensuite croisée avec la liste des gènes dont l'expression augmentait chez des épinettes blanches placées expérimentalement dans des conditions de stress hydriques. Au terme de l'exercice, les chercheurs sont arrivés à une liste de 8 gènes étroitement associés à la résistance à la sécheresse chez l'épinette blanche.
Ces résultats doivent maintenant être validés à partir de données provenant d'autres sites expérimentaux de culture d'épinettes blanches. Si l'exercice est concluant, il pourrait conduire à des retombées très concrètes en foresterie. «Nous espérons développer des tests génétiques qui permettront de déterminer dès les premières années de vie d'un jeune arbre s'il possède les allèles requis pour résister aux sécheresses, souligne le professeur Bousquet. Nous espérons faire de même pour d'autres caractéristiques permettant aux arbres d'être mieux adaptés aux conditions environnementales qui sont créées par les changements climatiques. Il faut préparer dès aujourd'hui les forêts qui existeront dans un demi-siècle.»
Les auteurs de l'étude parue dans Molecular Ecology sont Claire Depardieu, Sébastien Gérardi et Jean Bousquet, de l'Université Laval, Simon Nadeau, Patrick Lenz, Manuel Lamothe, Martin Girardin et Nathalie Isabel, du Service canadien des forêts, John Mackay, de l'Université d'Oxford, et Geneviève Parent, de Pêches et Océans Canada.