
Au nord du 51e parallèle, plus de la moitié des forêts denses d'épinettes noires (arrière-plan) sont remplacées, après feu ou coupe forestière, par des milieux ouverts (avant-plan), les pessières à lichens.
— François Girard
Les chercheurs ont comparé des photographies aériennes des années 1950 à des photos récentes pour déterminer ce qu’il advenait des forêts d’épinettes noires situées entre le 47e et le 52e parallèle après un feu, une épidémie d'insectes ou une coupe forestière. «Nous avons également visité 2 500 sites sur le terrain pour valider les observations faites à partir des photos», souligne François Girard. Leurs analyses, publiées dans une récente édition du Journal of Biogeography, indiquent que plus de 90 % des forêts situées à la hauteur du 48e parallèle parviennent à se reconstituer en pessières denses après une perturbation, mais cette résilience diminue rapidement à mesure qu’on se déplace vers le nord. Lorsque la perturbation survient au-delà du 51e parallèle, plus de la moitié des forêts denses sont remplacées par des milieux ouverts - des pessières à lichens -, où les arbres ne couvrent qu'entre 5 et 40 % du sol.
Leurs observations ont permis d’établir que, dans la zone étudiée, la superficie des pessières denses a diminué de 9 % en 50 ans au profit de la pessière à lichens, un écosystème typique des milieux plus nordiques. Cette transformation du paysage survient en raison des difficultés qu'éprouvent les forêts d'épinettes noires à se régénérer après une perturbation. Le taux de germination des graines de cette espèce serait faible dans les sols organiques. «Il faut un feu intense qui détruit la matière organique du sol pour que les graines germent bien et qu'une forêt dense soit reconstituée», explique Serge Payette.
Les incendies de forêt jouent donc un rôle central dans la dynamique de l’épinette noire en milieux nordiques, mais les coupes forestières ont aussi un effet marquant. La limite actuelle des coupes correspond à celle qui prévalait dans les années 1950, mais les coupes forestières, qui ne touchaient que 3,5 % du territoire dans les années 1950, en couvrent maintenant 15,5 %. L'effet combiné des perturbations naturelles et des coupes forestières fait en sorte qu'au-delà du 50e parallèle, la forêt boréale perturbée est progressivement remplacée par une forêt typique des milieux situés plus au nord. «Repousser la limite nordique où la coupe forestière est permise équivaudrait à annoncer la fin des forêts denses d'épinettes noires situées au-delà du 51e parallèle», estime François Girard.