
«La nuit venue, mieux vaut ne pas circuler seul à Slab City, qui ne figure d’ailleurs sur aucune carte», assure Célia Forget, qui y a passé quelques jours en 2004 aux fins d’une étude sur la violence. Actuellement postdoctorante en ethnologie, Célia Forget présentait un exposé lors d’un colloque sur la géographie de la violence, organisé dans le cadre du congrès annuel de l’Association canadienne des géographes, qui a eu lieu du 21 au 23 mai Son exposé s’intitulait: «Slab City: du bidonville au paradis perdu». «La première fois que j’ai entendu parler de Slab City, c’était en mal, se rappelle Célia Forget. Pour certains individus, par exemple des criminels en cavale, il s’agit d’un très bon endroit pour se faire oublier.» L’extrême pauvreté, le trafic de drogue, la consommation d’alcool et la possession d’armes à feu font partie du quotidien de ce village comptant 3 000 habitants en hiver et moins de 150 en été, à cause de la chaleur intense qui y règne durant cette période. Quant au paysage, il ne paie pas de mine non plus: avec ses caravanes et ses voitures abandonnées, le terrain est jonché de ferraille, sans que jamais personne ne songe à lever le petit doigt pour nettoyer. Il n’y a pas d’électricité ni d’eau courante, mais certains Slabbers, comme on les appelle, utilisent des centrales ou des panneaux solaires pour produire de l’électricité.
Le système D
«Ici, tu peux faire tout ce que tu veux, pourvu que tu n’empiètes pas sur la liberté de l’autre: tel est le mot d’ordre qui régit la vie des résidants, explique Célia Forget. À côté de toute cette violence ambiante, il existe cependant un système d’entraide et de débrouillardise même si ce système n’a d’autre but que la survie.» Le village comporte également une bibliothèque, un camp de nudistes, une scène en plein air où ont lieu des spectacles. Depuis peu, des noms de rues ont commencé à apparaître à Slab City afin de permettre aux ambulanciers appelés d’urgence de se retrouver dans ce véritable dédale de caravanes et d’habitations délabrées en tout genre. «Slab City est un espace où on peut partir de rien et tout avoir, conclut Célia Forget. Pour certains, c’est une oasis de liberté, une autre façon de voir le rêve américain et de vivre en marge de la société, et ce, sans rien devoir à personne.»