Au Québec, 48 % des plus de 65 ans prennent au moins un médicament potentiellement inapproprié. Voilà la conclusion troublante à laquelle arrivent des chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Limoges après avoir étudié les dossiers de plus de 1,1 million de Québécois. Selon les auteurs de cette étude, qui vient de paraître dans la revue Family Practice, ces médicaments peuvent tous avoir des effets indésirables sur la santé des personnes âgées et des efforts doivent être faits par les médecins, les pharmaciens et les patients pour favoriser leur déprescription.
«Un médicament est considéré comme potentiellement inapproprié lorsque les risques d’effets secondaires indésirables sont plus grands que les bénéfices potentiels et qu’il existe d’autres solutions pour traiter le patient», rappelle l'une des responsables de l'étude, Caroline Sirois, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.
Pour réaliser leur étude, la professeure Sirois, également titulaire de la Chaire de recherche sur le vieillissement de l’Université Laval, et ses collaborateurs ont utilisé le Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec. Mis sur pied par l'Institut national de santé publique du Québec, ce système contient des données sur les médicaments prescrits aux personnes ayant une maladie chronique ou présentant des risques de développer une maladie chronique. Le système couvre 90% des Québécois de plus de 65 ans. Les chercheurs ont comparé les données figurant dans cette base de données à la liste des médicaments potentiellement inappropriés pour les personnes âgées, dressée par l'American Geriatrics Society.
Leurs analyses révèlent que 48% des personnes âgées avaient reçu au moins une prescription pour un médicament potentiellement inapproprié pendant l’année couverte par l’étude. Les principaux médicaments figurant sur cette liste sont les benzodiazépines (26%), prescrits contre l’anxiété et l’insomnie, et les inhibiteurs de la pompe à protons (21%), prescrits contre l’acidité gastrique. Suivent certains antipsychotiques (6%) et antidépresseurs (5%).
Le risque de recevoir un médicament potentiellement inapproprié était:
• 1,2 fois plus élevé chez les femmes;
• 1,5 fois plus élevé chez les personnes qui ont plusieurs maladies chroniques, en particulier des problèmes de santé mentale;
• 2,2 fois plus élevé lorsque le nombre de médicaments prescrits se situe entre 5 et 9. Ce risque grimpe à 3,7 lorsque le nombre de médicaments est de 15 ou plus.
Les études menées dans d’autres pays sur la prescription de médicaments potentiellement inappropriés arrivent à des taux qui se situent autour de 25%. «Les particularités méthodologiques de chaque étude expliquent une partie de cette différence, mais il y a plus. On sait, par exemple, que le taux de prescription des benzodiazépines est souvent plus élevé au Québec qu’ailleurs», rappelle la professeure Sirois.
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi le Québec se retrouve dans une situation où une personne âgée sur deux prend un médicament potentiellement inapproprié. La professeure Sirois les résume ainsi. «Il est plus simple et plus rapide pour les patients et pour les médecins de se tourner vers ces médicaments que d’opter pour des solutions qui exigent du temps, des efforts et des ressources. Une fois qu’on commence à les prescrire, il est difficile d’arrêter et on cesse de se questionner sur leur utilité et leurs effets néfastes.»
Des efforts de sensibilisation à la déprescription de ces médicaments ont été faits auprès des professionnels de la santé. «Il n’y a maintenant aucun médecin ni aucun pharmacien qui peut prétendre ne pas être au fait des problèmes causés par ces médicaments, affirme la professeure Sirois. Les efforts doivent maintenant être dirigés vers les personnes qui utilisent ces médicaments. Il faut qu'elles prennent conscience de leurs effets néfastes. Les médecins, les pharmaciens et les patients sont tous des acteurs essentiels dans la déprescription des médicaments potentiellement inappropriés.»
Le site Web du Réseau canadien pour la déprescription constitue un bon point de départ pour les personnes intéressées à réévaluer leur consommation de médicaments, souligne la chercheuse.
Les signataires de l'étude parue dans Family Practice sont Barbara Roux, Caroline Sirois, Marc Simard, Marie-Eve Gagnon et Marie-Laure Laroche.