«Les principales sources de stress pour un agriculteur sont sa ferme, la conciliation travail-famille et les conflits interpersonnels», affirme Philippe Roy. L'automne dernier, celui-ci a soutenu sa thèse en service social. Sa recherche doctorale portait sur les comportements masculins face aux hauts niveaux de stress propres à la ferme. Il insiste sur la conciliation travail-famille. «Plusieurs agriculteurs, dit-il, vivent une tension entre le souhait d'être des travailleurs acharnés comme leur père et, en même temps, celui d'être présents et engagés auprès de leurs enfants et de leur conjointe, comme les autres hommes de leur génération.»
Pour sa thèse, Philippe Roy a interviewé 32 agriculteurs en personne. Âgés en moyenne de 45 ans, ils habitent dans 9 régions administratives. Une forte majorité vit en couple.
Comme hommes, ces agriculteurs sont sensibles à l'idéologie masculine traditionnelle, laquelle valorise notamment la force, le stoïcisme et l'indépendance. Par voie de conséquence, ils accordent peu d'importance, voire un déni, aux symptômes de stress. De plus, ils croient être capables de s'en sortir seuls. «Comme la plupart des hommes, souligne Philippe Roy, ils ont tendance à montrer peu d'intérêt pour leur santé et évitent de demander de l'aide.» Selon lui, ces pratiques semblent conduire à l'adoption de stratégies négatives telles que l'isolement social, l'investissement excessif dans le travail, et même les pensées suicidaires. «Certains vont garder le problème pour eux, précise-t-il. Ils vont "s'aligner" sur une norme masculine où l'on ne dévoile pas ses problèmes. Ses problèmes, on les règle par soi-même. Ils vont entretenir le silence, ce qui peut alimenter la détresse psychologique.»
Pour Philippe Roy, les agriculteurs peuvent s'adapter à presque toutes les situations imaginables sur le plan du travail. «Ils continuent à travailler même après l'incendie de l'un de leurs bâtiments, ou à la suite d'une mauvaise récolte, explique-t-il. Ils gardent confiance en leur entreprise, malgré des dettes qui atteignent parfois le million de dollars. Ils réussissent à naviguer à travers tout ça. Mais si une rupture amoureuse survient, elle peut les briser.»
Les agriculteurs québécois représentent un groupe à risque. Selon une étude de la Coop fédérée datant de 2006, le niveau moyen de détresse psychologique y est plus de deux fois plus élevé que dans le reste de la population. Or seul un agriculteur sur cinq, dans cette situation depuis un an, demande de l'aide professionnelle. Trois agriculteurs sur quatre souffriraient d'un niveau de stress permanent.
Dans sa recherche, Philippe Roy a interviewé un agriculteur qui, après sa séparation, s'est tourné vers des personnes pouvant le soutenir, comme sa mère et des amis agriculteurs. «Cet exemple, dit-il, illustre la contradiction de certains dans leur discours. Publiquement, par crainte d'être jugés, ils ne parlent pas de leur situation de crise. En privé cependant… Cet agriculteur a pris la situation au sérieux. Il considérait approprié de s'occuper de sa santé.»
Une approche plus positive passe, entre autres, par la reconnaissance d'une situation de crise et par l'influence que peuvent avoir les témoignages de modèles identitaires. Parmi les mesures positives qu'un agriculteur peut adopter, mentionnons les congés et les vacances, les activités sportives et sociales, et le soutien du réseau social.
«La principale recommandation de ma thèse consiste à "aligner" les agriculteurs sur leur sens des responsabilités, rejoignant en cela un des idéaux masculins, celui du protecteur, indique Philippe Roy. Il faut les amener à être responsables de leur santé et de leur bien-être, comme ils le sont de leur famille et de leur entreprise.»
La thèse de Philippe Roy a suscité l'intérêt, ici et à l'étranger, de la part de médias comme Radio-Canada et l'Australian Broadcasting Corporation, mais aussi de revues savantes. Les résultats ont été publiés dans Nouvelles pratiques sociales, Sociologia Ruralis et l'Australian Journal of Rural Health.