Le besoin de s'alimenter fait partie de notre quotidien. Or, le geste de se nourrir, c'est aussi un déterminant majeur de notre santé. Quels grands défis doivent être relevés chez nous pour garantir un meilleur lien entre la santé des Québécois et leur alimentation?
Benoît Lamarche est professeur à l'École de nutrition, titulaire de la Chaire en nutrition de l'Université Laval et chercheur à l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF). Il est également responsable du Centre Nutrition, Santé et Société, qui rassemble plus de 45 experts issus de 12 facultés du campus. Dans la foulée de la Journée mondiale de l'alimentation, célébrée le 16 octobre, il cible les pistes d'avenir qui animent ses travaux et ceux de son équipe.
1. Continuer de développer la nutrition de précision
La médecine personnalisée, qui propose des traitements médicaux adaptés à l'unicité des individus, est une avenue prometteuse pour améliorer la santé des gens. «Le même potentiel existe en alimentation, indique Benoît Lamarche. L'effet du sel, des fibres, des gras saturés, etc. n'est pas le même pour tout le monde. Ce qu'on mange agit différemment selon notre âge, notre sexe, notre génétique. La composition de notre microbiote, le filtre de notre intestin en quelque sorte, exerce aussi une grande influence. Tout comme la somme des aliments consommés, qui réagissent entre eux.» Bref, dans l'avenir, la nutrition personnalisée, ou de précision, devrait permettre à chaque personne de manger de façon optimale pour son mieux-être et sa santé en fonction de son profil individuel. Concrètement, avance le chercheur, chaque citoyen pourrait posséder sa propre puce qui lui indique en entrant à l'épicerie les ingrédients à acheter et les recettes pour les apprêter.
2. Aider les gens à mieux s'orienter dans leurs choix alimentaires
Dernier régime à la mode, aliments prohibés ou au contraire miracles: chaque jour entraîne avec lui de nouvelles informations plus ou moins crédibles en matière de nutrition: «C'est la cacophonie alimentaire, déplore Benoît Lamarche. Résultat: devant tant de données, les gens sont confus. Qu'est-ce qu'il faudrait manger ou pas?» À cette confusion s'ajoute le stress causé par les nombreux jugements véhiculés, notamment concernant le surpoids. «Il y a une grosse pression sociale autour de l'alimentation, poursuit le professeur. Pour s'assurer que les gens mangent plus sainement, il faut simplifier tout ça.» Comment? D'abord, en comprenant mieux ce qui motive leurs choix et l'effet qu'a le mélange d'informations, de tendances et d'exigences sur leur comportement. Qu'est-ce qui nous pousse à opter pour tel repas plutôt qu'un autre? Pourquoi certaines personnes tendent-elles plus naturellement à manger santé? Quel est l'impact des messages négatifs qui circulent autour du surpoids? Également, comment offrir aux citoyens des moyens de distinguer le vrai du faux dans le discours alimentaire? «Par exemple, illustre Benoît Lamarche, on entend développer à partir de l'intelligence artificielle des outils d'analyse des médias sociaux qui mettraient en garde les internautes devant les affirmations non valides en matière d'alimentation.»
3. Agir sur les facteurs externes qui influencent l'alimentation des gens
«La manière dont sont conçues les villes, l'économie, les lois, les politiques publiques, ces éléments qui se situent à l'échelle sociale et collective, exerce aussi une grande influence sur l'alimentation de monsieur et madame Tout-le-monde, indique Benoît Lamarche. Comprendre cette influence et apporter les changements qui s'imposent s'avère un autre défi d'avenir pour favoriser la saine alimentation des citoyens. «On peut penser à une loi qui obligerait les restaurateurs à créer au moins la moitié de leurs menus autour d'options santé», fait valoir le chercheur. Éloigner l'offre de malbouffe des écoles, reconfigurer les villes pour faciliter l'accès aux marchés de proximité, revoir l'offre d'alimentation santé pour les personnes qui travaillent sur la route sont autant de pistes qui concernent ces ajustements à grande échelle.
4. Miser plus que jamais sur l'autonomie alimentaire
Promouvoir l'agriculture durable, réduire la consommation de denrées produites à l'étranger, favoriser la production locale... La question de l'autonomie alimentaire n'est pas nouvelle, notamment comme solution aux changements climatiques. Toutefois, précise Benoît Lamarche, la pandémie que nous connaissons a accentué l'importance de mettre en place des systèmes alimentaires plus près de nous, en accord avec le respect de l'environnement. «Nous avons réalisé à quel point la dépendance alimentaire n'est pas souhaitable, ne serait-ce qu'en matière d'accessibilité, souligne-t-il. S'alimenter santé sans dépendre du reste de la planète et sans la détruire, voilà un grand enjeu du futur, estime le professeur. Cela passe par des importations limitées, par la consommation d'aliments moins transformés, par une chaîne alimentaire plus directe entre les producteurs et les consommateurs. «Il y a moyen pour une ville comme Québec de répondre à ses besoins alimentaires, qu'on pense à l'ajout de serres, à une meilleure utilisation de ses terres cultivables à proximité... L'autonomie alimentaire est un rêve, il est possible.» Sur ce plan, conclut le chercheur, nous avons beaucoup à apprendre du savoir-faire des peuples autochtones. «Il faut s'en inspirer, car eux avaient compris comment se nourrir en accord avec le terroir et la protection de l'environnement.»