Les TCA touchent 5,7% des filles et 1,2% des garçons à l'adolescence, rappellent les chercheurs dans un article publié par la revue Soins Psychiatrie. «Chez les filles, il s'agit surtout de problèmes d'anorexie ou de boulimie, alors que chez les garçons, on voit surtout des problèmes de bigorexie (un désir obsessif d'augmenter sa masse musculaire)», signale l'une des auteurs de l'étude, la professeure Nathalie Gingras, pédopsychiatre et membre du Centre de recherche CERVO. «Depuis quelques années, nous constatons que les TCA se manifestent de façon plus précoce, parfois chez des jeunes de 10 ans ou moins. On ne sait pas si ce phénomène est attribuable à Internet ou à une préoccupation généralisée pour l'alimentation dans notre société», précise-t-elle.
La quasi-totalité des ados utilise Internet pour s'informer, communiquer et socialiser. Plus de 9 jeunes sur 10 sont actifs sur les réseaux sociaux, où ils exposent leur vie privée et leurs images personnelles. «À l'adolescence, l'apparence prend une grande place dans l'estime de soi et dans l'identité sociale, souligne la professeure Gingras. Les jeunes portent donc une grande attention aux photos d'eux-mêmes qu'ils affichent sur les réseaux sociaux. Ceux qui manquent d'assurance par rapport à leur apparence physique auront l'impression que tous les autres sont extraordinaires.» Les études analysées par les trois chercheurs révèlent que les préoccupations par rapport à l'image corporelle, à la quête de minceur et à la surveillance du poids augmentent en fonction du nombre d'amis Facebook et du temps passé sur Internet, plus précisément le temps consacré aux réseaux sociaux et à la visualisation d'images. Internet fait-il pire que les magazines, la télévision et le cinéma pour promouvoir les TCA? «Lorsqu'on regarde la télé en famille, il y a de la place pour la discussion au sujet des images que l'on voit. Avec Internet, l'exposition aux images a explosé et elle se fait de façon individuelle, constate Nathalie Gingras. Les jeunes sont continuellement en "mode comparaison" et ils sont soumis en permanence au jugement des autres.»
Internet constitue une source d'information utilisée par la moitié des jeunes pour les questions liées à la santé et au bien-être physique. Les principaux sujets qui les préoccupent? Les exercices physiques, l'apparence, la nutrition et les comportements sexuels. «Internet influence leurs croyances et leurs comportements sur ces sujets, ce qui peut avoir des répercussions très négatives pour les jeunes qui visitent des sites pro-anorexie et pro-boulimie animés par des personnes qui présentent ces comportements comme un mode de vie plutôt qu'une maladie», souligne la pédopsychiatre.
Paradoxalement, la puissance d'Internet peut être canalisée vers la prévention et le traitement des TCA. On assiste présentement à l'émergence d'une offre de prévention et de thérapie en ligne développée avec la collaboration de professionnels de la santé. Ces interventions font appel au Web, à l'e-coaching par Skype et aux groupes de soutien sur Facebook, des outils familiers et facilement accessibles aux jeunes. «Certains sites d'information et de soutien sont très bien faits. C'est le cas de anebquebec.com», souligne Nathalie Gingras.
Prévenir les TCA en interdisant aux jeunes d'utiliser Internet est une solution qui n'est ni réaliste ni souhaitable, estime-t-elle. «Il faut plutôt encourager une saine utilisation d'Internet et rester à l'affût de certains comportements symptomatiques pour éviter les dérapages, propose-t-elle. Il faut prendre le temps de s'intéresser aux outils de communication utilisés par les jeunes, en faire nous-mêmes usage et discuter des contenus avec eux. Il faut aussi trouver du temps pour échanger, pour partager avec eux nos valeurs et nos inquiétudes. Comme pour tous les autres problèmes qui peuvent survenir à l'adolescence, les parents doivent engager la discussion, convenir de certaines balises et maintenir un canal de communication ouvert avec leurs enfants.»
L'article paru dans Soins Psychiatrie est signé par Frédéric Ntwengabarumije, médecin résident en psychiatrie au moment de l'étude, Richard E. Bélanger, professeur et membre du Centre de recherche du CHU de Québec — Université Laval, et Nathalie Gingras.