
Le fractionnement et le décollement des derniers plateaux de glace de l'Île d'Ellesmere semblent s'intensifier. Au centre, le pan de glace qui s'est détaché du plateau d'Ayles en 2005 avait une superficie équivalente à 11 000 terrains de football. Les chercheurs y installeront une balise satellite pour suivre ses déplacements.
— NASA
Les plateaux de glace de l’Île d’Ellesmere bordent ses côtes depuis plus de 3 000 ans. Formés d’eau de mer gelée et de neige, ils résultent d’une convergence géographique particulière: plus au sud, le froid n’est pas assez intense pour engendrer leur formation et plus au nord, il n’y a plus une parcelle de terre où ils pourraient s’accrocher. En 2002 et 2005, deux de ces plateaux ont subi des perturbations que le professeur Vincent qualifie de «dramatiques»: le décollement du plateau d’Ayles et le fractionnement du plateau de Ward Hunt ont sonné le glas d’écosystèmes très rares. En effet, ces plateaux de glace faisaient office de barrage à l'embouchure de deux imposants fjords dont la profondeur atteignait 400 mètres par endroits. À Ward Hunt, les 43 premiers mètres d'eau de surface du fjord étaient constitués d'eau douce provenant de la fonte de la neige et de la glace des côtes adjacentes, ce qui en faisait le plus grand «lac» de ce genre dans l'hémisphère Nord. Des communautés encore méconnues de plancton d'eau douce et d'eau salée proliféraient dans ces conditions singulières depuis plus de trois millénaires. Aux deux sites, la rupture du plateau de glace a provoqué le drainage de l'eau douce, amenant la disparition de ces écosystèmes.
Les causes précises de ces perturbations sont inconnues, mais la superficie des plateaux de glace d’Ellesmere a diminué de 90 % depuis un siècle. D’ailleurs, les six plateaux étaient auparavant réunis au sein d’un seul et même gigantesque pan de glace. «Le réchauffement climatique de l’Arctique se serait accentué au cours des six dernières décennies», commente le professeur Vincent. Il ne reste maintenant que cinq plateaux de glace dans l’Arctique canadien, dont un seul, celui de Milne, abrite encore un écosystème étagé d’eau douce et d’eau salée. «Il est difficile de prédire ce qui va advenir des plateaux restants, mais leur situation est précaire, estime le chercheur du Centre d’études nordiques. Ces milieux traversent une période de grande mutation.»
Le professeur Vincent ne fait pas partie de l’expédition qui est présentement sur le terrain, mais il se rendra sur l’Île d’Ellesmere aux mois de mai et d’août pour y étudier la biodiversité de ces écosystèmes. Pendant qu’il est encore possible de le faire.