Le Trésor de la langue française au Québec, cette infrastructure scientifique pour la recherche sur le français québécois, relève du Département de langues, linguistique et traduction de l’Université Laval. Il a vu le jour dans les années 1970. Ses bases de données informatisées, ouvrages et articles sont aujourd’hui indispensables à quiconque s’intéresse à l’histoire du français en usage au Québec et ailleurs en Amérique du Nord.
Le 17 septembre, la députée de Jean-Talon, Joëlle Boutin, au nom du ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a annoncé l’octroi d’une importante subvention de 4,5 millions de dollars au Trésor de la langue française.
En marge de cette annonce, le directeur du Trésor de la langue française, Robert Vézina, a fait la déclaration suivante. «Marqué de particularismes d'origines variées, parfois surprenantes, le français en usage au Québec témoigne d'une vitalité et d'une créativité remarquables depuis quatre siècles. Grâce au financement obtenu, le Trésor de la langue française au Québec, fort d'une expertise développée au cours des quelque 50 dernières années à l'Université Laval, pourra faire connaître au plus grand nombre ce patrimoine linguistique et mettre en valeur la richesse lexicale du français d'ici.»
Les spécialistes du Trésor de la langue française sont surtout connus pour l’étude des mots et la compilation de dictionnaires. Leur mission consiste à jeter un éclairage historique sur le français en usage au Québec, en particulier sur le vocabulaire qui le caractérise. Ils sont au cœur d’une tradition d’étude où la langue est considérée comme un bien culturel de première importance et un organisme vivant qui évolue sans cesse. C'est donc la dimension patrimoniale du français québécois qui est mise en évidence dans cette perspective.
«Nos chercheurs ont très bonne réputation, de poursuivre le professeur Vézina. L’octroi gouvernemental nous permettra de relancer nos travaux et d’engager du nouveau personnel. Nous avons des projets en cours, d’autres sont à venir. Nous vivons une période excitante.»
Certains nouveaux projets s’adresseront aux non-spécialistes. «Nous visons, entre autres, à faire connaître la langue québécoise à la population, dit-il. Nous nous adresserons en particulier à ceux dont le français du Québec n’est pas la langue maternelle, et à ceux qui n’en connaissent pas les nuances. Nous voulons montrer aux intéressés d’où vient ce français, quelles sont ses caractéristiques lexicales et que les québécismes ont leur raison d’être. Nous voulons montrer que cette variété de français, à la richesse insoupçonnée, est totalement légitime. Je pense que les travaux du Trésor ont contribué à cette légitimisation.»
Un site web modernisé
La nouvelle mouture du site Web du Trésor de la langue française a été mise en ligne le lundi 1er novembre. Une nouvelle section intitulée Découvrir le français d’ici contribuera à rapprocher les chercheurs et leurs travaux du grand public. Elle comprend quatre volets: En vedette, Le coin multimédia, Les fins mots de l’histoire et Saviez-vous que? Le premier volet demande à l’internaute le sens qu’a longtemps désigné le mot «bombe», à part un engin explosif. Le deuxième volet contient le balado du Trésor de la langue française au Québec. Le troisième volet permet de découvrir davantage la dimension culturelle de mots caractéristiques du français du Québec, selon la vision toute personnelle d’autrices et d’auteurs à la plume inspirée. Comme première collaboration, l’écrivain Nicholas Dawson se penche sur le mot «casse-croûte». Le dernier volet propose un survol du mot «pain». Derrière la simplicité de sa composition se cache une surprenante complexité linguistique. Au Québec, les façons d’en parler sont foisonnantes. Pensons notamment au pain de viande et au pain aux bananes, ou aux expressions «né pour un petit pain» et «ambitionner sur le pain bénit».
Une autre section du site Web contient des chroniques linguistiques, des dizaines de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat, ainsi que de très nombreuses publications. Enfin, une section réunit quatre bases de données. L’une d’elles est L’Index lexicologique québécois riche de plus de 510 000 mots. Ces mots ont fait l’objet d’une étude ou d’un commentaire depuis le milieu du 18e siècle dans l’une ou l’autre des sources suivantes: glossaires, manuels de bon usage, listes de mots, dictionnaires, articles dans des revues, chroniques de langage, thèses, mémoires.
Robert Vézina insiste sur l’inventivité du français québécois. «Des sens inédits ont été attribués à des mots partagés avec la francophonie, explique-t-il. «Poudrerie», par exemple. En France, la poudrerie est une fabrique de poudre ou d’autres substances explosives, tandis qu’ici il s’agit de neige fine et sèche qui virevolte sous l’effet du vent. Nous avons aussi inventé des mots. «Courriel», «clavardage», «baladodiffusion» sont des exemples récents. Nous avons beaucoup le réflexe des mots pour dire la modernité. Nous sommes reconnus dans la francophonie pour traduire les nouveaux mots de langue anglaise. C’est un sain réflexe de création lexicale.»
Selon lui, le français du Québec doit beaucoup aux emprunts. «Les premiers emprunts l’ont été auprès des peuples autochtones, souligne-t-il. Ce phénomène a commencé très rapidement. Le mot “caribou” est attesté au début du 17e siècle. Ce mot est aujourd’hui utilisé dans les mondes francophone et anglophone.»
Une nouvelle édition augmentée du Dictionnaire historique du français québécois
L'aide financière octroyée au Trésor de la langue française au Québec permettra de produire notamment une nouvelle édition augmentée ainsi qu’une version mobile du Dictionnaire historique du français québécois. «Nous travaillons sur cette deuxième édition, indique Robert Vézina. La première édition comprend environ 160 articles. Avec notre dictionnaire électronique en ligne, nous espérons cette fois atteindre 1000 entrées. Elles seront enrichies d’extraits sonores de diverses époques, d’images d’archives et de clips vidéo. Ces extraits proviendront des Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval, un trésor national. Il y aura, entre autres, un extrait sonore remontant au début du 20e siècle dans lequel un témoin décrit l’affaissement de la travée centrale du pont de Québec alors en construction. Il dit avoir vu les câbles “se balanciner”. Ces archives sonores sont fascinantes. Souvent, elles ont été enregistrées auprès de personnes nées au 19e siècle.»
Autre nouveauté: une vingtaine de capsules animées mettront en valeur l’histoire du français au Québec. Elles porteront sur l’origine d’emplois lexicaux typiquement québécois. «Ce sera très novateur, affirme-t-il. Nous allons essayer de surprendre les gens. Même des spécialistes vont apprendre des choses. Dans certains cas, des résultats de recherche récents et inédits seront diffusés.»
L’équipe du Trésor de la langue française réalisera également divers produits adaptés aux nouveaux médias, tels que des textes littéraires consultables à partir des médias sociaux, des cartes linguistiques interactives, des balados, des vignettes animées ou encore des bandes dessinées. Ces produits seront destinés à un large public, notamment les jeunes adultes et les apprenantes et apprenants du français.