Les espèces exotiques qui s’installent avec succès dans un nouvel environnement constituent un paradoxe génétique pour les biologistes. En effet, comment parviennent-elles, à partir d’un nombre limité de premiers arrivants, à générer suffisamment de diversité génétique pour être en mesure de s’adapter aux conditions changeantes de leur environnement?
Une étude qui vient de paraître dans la revue Nature Ecology and Evolution suggère une réponse à cette énigme, du moins pour les champignons responsables de la maladie hollandaise de l’orme. Les espèces et sous-espèces (taxons) du genre Ophiostoma, qui causent cette maladie, seraient parvenues à générer cette diversité génétique en sautant la barrière reproductrice qui les sépare.
Des chercheurs de l’Université Laval et du Service canadien des forêts en ont fait la démonstration en analysant le génome de spécimens d’Ophiostoma provenant d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie. Leurs efforts ont porté sur les trois principales lignées qui font des ravages dans les populations d’ormes, de part et d’autre de l’Atlantique.
À l’origine, certaines de ces lignées étaient probablement séparées géographiquement, mais le transport de bois contenant le pathogène ou les insectes lui servant de vecteur a favorisé leur dissémination. Deux des trois lignées – O. ulmi et O. novo-ulmi ssp. americana – se retrouvent maintenant en Europe et en Amérique du Nord. Le troisième taxon, O. novo-ulmi ssp. novo-ulmi, se retrouve en Europe et en Asie.
Sauter la clôture
Les analyses génomiques des chercheurs révèlent que la barrière reproductrice entre ces trois lignées n’est pas parfaitement étanche. «Plus du tiers des spécimens contiennent des gènes provenant d'au moins une autre lignée. Ces champignons sont assez différents pour constituer des taxons, mais il y a eu, et il y a peut-être encore, des croisements qui donnent des hybrides fertiles», explique l’un des auteurs de l’étude, Christian Landry, de la Faculté des sciences et de génie et de l’Institut de biologie intégrative et des systèmes.
Les chercheurs ont aussi découvert que les gènes transférés interviennent dans la reproduction ainsi que dans les interactions entre le champignon et son hôte. Les champignons qui en sont porteurs ont un meilleur taux de croissance à des températures plus élevées et ils causent davantage de nécrose dans les tissus végétaux. Ces caractères sont étroitement liés à leur pathogénicité.
«Si l'on fait abstraction des gènes transférés, il y a très peu de diversité génétique au sein de chaque taxon, constate le professeur Landry. Le transfert de gènes par hybridation est le principal moteur de création de diversité génétique dans ces lignées. Il est donc possible que le contact entre les taxons, induit par les activités humaines, ait favorisé un accroissement de leur pathogénécité qui serait à l'origine des épidémies qui frappent les ormes.»
Les auteurs de l'étude sont Pauline Hessenauer, Anna Fijarczyk, Hélène Martin, Julien Prunier, Guillaume Charron, Jérôme Chapuis, Louis Bernier, Richard C. Hamelin et Christian Landry, de la Faculté des sciences et de génie et de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l'Université Laval, et Philippe Tanguay, du Service canadien des forêts.