Ces phrases joliment tournées et pour le moins empathiques ne proviennent pas d’une œuvre littéraire. Elles sont tirées d’une chronique féminine, «La correspondance de Madeleine», parue le samedi 2 novembre 1907 dans le journal à grand tirage La Patrie. «Madeleine, de son vrai nom Anne-Marie Gleason, représente bien ces nombreuses femmes de lettres canadiennes-françaises qui, au tournant du 20e siècle, ont fait carrière comme chroniqueuses vedettes responsables des pages féminines des journaux, ou dans les périodiques s’adressant au public féminin comme Le coin du feu, Pour vous mesdames et La revue moderne, explique Chantal Savoie, professeure au Département des littératures. Avec elles, le journalisme au féminin est né.»
Le vendredi 26 octobre, au pavillon Louis-Jacques-Casault, la professeure Savoie a animé une causerie sur ce thème lors d’une activité de l’Université du troisième âge de Québec. Selon elle, de nombreuses femmes de lettres, principalement issues de la bourgeoisie, ont fait leur entrée dans la sphère publique grâce à la convergence du développement urbain, économique et médiatique, également à cause du développement des pratiques associatives féminines et de l’accès aux études supérieures. «Le métier de chroniqueuse pour les pages féminines, entre 1895 et 1918, a été pour une trentaine de femmes un moyen de réaliser leurs ambitions littéraires en investissant un créneau où leur écriture était acceptée, affirme Chantal Savoie. Pour certaines, ce fut un lieu de passage vers la carrière des lettres. Chacune des chroniqueuses avait sa spécialité. Madeleine était le plus près de l’épanchement des sentiments. Dans l’espace public qu’était sa chronique, elle avait une façon bien à elle de recréer, avec ses lectrices, l’intimité des liens personnels.»
Féministes avant la lettre
Au cours de sa carrière de chroniqueuse, Madeleine a défendu la cause des femmes autant que l’importance de la culture. D’autres chroniqueuses, notamment Fadette, ont également lutté, par leurs écrits, pour l’amélioration des conditions de vie de leurs congénères, leur émancipation et leur épanouissement. Dans sa chronique du 1er août 1912 dans Le Devoir, Fadette pourfend le préjugé tenace qui voulait qu’une femme de vingt-cinq ans soit déjà vieille. «Si elles sont nombreuses, les jeunes filles qui, passé vingt-cinq ans, hésitent à se marier, écrivait-elle, c’est justement parce que leur vie est si agréable qu’elles redoutent le sacrifice d’une liberté et d’une indépendance qui leur sont chères.»
Selon Chantal Savoie, Fadette a été «la» chroniqueuse de son époque. En 1919, on évaluait à 75 000 le nombre de ses lecteurs. Ses textes se présentaient sous forme de billets intimistes. «C’étaient de petites chroniques, parfois moralisatrices, sur la condition féminine, le couple, la foi, le passage du temps et la mort, qui permettaient de se recueillir sur soi-même, de penser à la vie, de faire le point, indique la professeure. Elle tenait un discours modéré sur les grandes questions de son époque. Son succès fut tel que cinq recueils de ses meilleurs textes ont été publiés. Ces recueils contenaient aussi des récits, des contes, des critiques et des essais.»