On savait déjà que les personnes souffrant de dépression ont une réponse immunitaire exacerbée. On savait aussi que le stress chronique, incluant l'intimidation sociale, provoque des changements dans la réponse immunitaire. «Notre étude visait à mieux comprendre le lien entre le stress social chronique, la réponse inflammatoire sous-jacente et le développement de symptômes liés à la dépression», résume la professeure Ménard.
En point de mire des chercheurs, la BHE, une structure qui filtre le passage des molécules et des microorganismes entre la circulation sanguine périphérique et le cerveau. Cette barrière est formée de cellules tapissant l'intérieur de capillaires sanguins dans certaines régions du cerveau. Son étanchéité est assurée par les jonctions serrées qui agissent comme «ciment» entre ces cellules. L'une des plus importantes protéines des jonctions serrées est la claudine-5. «Sans cette protéine, la barrière hématoencéphalique s'ouvre. Une étude a démontré que les souris dépourvues de claudine-5 survivent moins de 10 heures», précise la professeure Ménard.
Pour réaliser leurs travaux, les chercheurs ont utilisé un modèle animal de stress social chronique. Chaque souris expérimentale était placée à répétition dans une cage où se trouvait, de l'autre côté d'un séparateur, une grosse souris agressive. L'examen microscopique d'une région du cerveau impliquée dans le plaisir et le contrôle de l'humeur a révélé que la morphologie de la BHE est altérée chez les souris devenues stressées à la suite de cette exposition. «Contrairement à ce que l'on observe chez les souris résilientes, il y a un élargissement des jonctions serrées, explique Caroline Ménard. La porte qui donne sur leur cerveau est entrouverte.»
Les analyses des chercheurs ont montré que le niveau de claudine-5 dans cette région du cerveau était 50% plus faible chez les souris stressées que chez les autres souris. L'altération de la BHE chez les souris stressées, de même que chez des souris chez qui les chercheurs avaient bloqué la production de claudine-5, a été suivie par l'entrée dans le cerveau de molécules pro-inflammatoires et par l'apparition de symptômes de type dépressif, notamment l'isolement social. Pour déterminer si un mécanisme semblable pouvait être présent chez l'humain, les chercheurs ont fait appel à des banques de cerveaux post mortem. Leurs analyses ont montré que les niveaux de claudine-5 étaient 50% plus bas chez les 39 personnes qui souffraient de dépression majeure au moment de leur décès que chez les 24 sujets du groupe témoin.
«Notre étude est la première à démontrer que l'inflammation périphérique induite par un stress social chronique peut influencer directement le cerveau en altérant l'intégrité de la barrière hématoencéphalique. Elle confirme également le rôle central de l'inflammation dans le développement de symptômes dépressifs», résume la professeure Ménard.
Cette avancée pourrait avoir des répercussions cliniques sur trois plans, poursuit la chercheuse. D'une part, elle suggère qu'on pourrait diagnostiquer la dépression majeure chez des personnes à risque, celles qui souffrent de maladies cardiovasculaires par exemple, en évaluant la perméabilité de la BHE par résonance magnétique. D'autre part, puisque des molécules du sang peuvent traverser cette barrière, il est possible que des molécules du cerveau puissent passer dans le sang. Certaines de ces molécules pourraient donc servir de biomarqueurs sanguins pour la dépression. «Enfin, à plus long terme, on pourrait envisager le développement de nouveaux traitements de la dépression qui cibleraient l'expression de la claudine-5 afin de maintenir l'intégrité de la barrière hématoencéphalique», conclut Caroline Ménard.
L'étude publiée dans Nature Neuroscience est signée par 23 chercheurs et elle a été réalisée sous la direction de Scott J. Russo, de l'Icahn School of Medecine at Mount Sinai, de New York. Benoit Labonté, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche CERVO, compte parmi les auteurs.