
Diana Orejuela et Iuliana Anghel, au travail dans le laboratoire du professeur Robert Tanguay.
— Marc Robitaille
La tyrosinémie héréditaire est causée par une cinquantaine de mutations qui rendent non fonctionnelle une même enzyme appelée FAH. Cette enzyme intervient dans la dégradation de la tyrosine, un acide aminé abondant dans les aliments que nous consommons. Chez les personnes atteintes de tyrosinémie, le mauvais fonctionnement de la FAH conduit à l’accumulation dans les cellules du foie de fumarylacétoacétate (FAA), un composé normalement dégradé en composés inoffensifs par la FAH. Le FAA endommage les cellules du foie, des reins et le système nerveux, et les enfants qui ne sont pas traités meurent avant l’âge de trois ans.
Outre un régime restreint en tyrosine et la transplantation de foie, le seul traitement disponible contre cette maladie est l’administration de NTBC, un composé dont les prétentions comme herbicide ont connu une fin abrupte dans les années 1980 lorsque des études ont montré qu’il bloquait la voie de dégradation de la tyrosine. «Le NTBC rétablit les fonctions du foie, mais un pourcentage important de jeunes à qui on l’administre développe tout de même des tumeurs hépatiques, signale Diana Orejuela. Nous croyons que, chez ces enfants, il y a accumulation de dommages au foie même avec le NTBC et des tumeurs apparaissent avec le temps.»
En étudiant les sentiers métaboliques en cause et en potassant dans la littérature scientifique, les chercheurs ont mis le doigt sur une molécule, la caféine, qui promettait, en théorie du moins, d’améliorer le traitement au NTBC. En effet, un mécanisme de survie qui s’enclenche dans les cellules endommagées, qui prévient leur mort et favorise ainsi leur transformation en cellules cancéreuses, peut être inhibé par la caféine. Les tests effectués par les chercheurs avec des souris tyrosinémiques semblent leur donner raison. Un traitement combiné de NTBC/caféine prévient le gonflement du foie et la perte de poids, deux symptômes de la tyrosinémie, tout en inhibant le mécanisme de survie des cellules qui peut conduire au cancer du foie.
La dose de caféine qui produit cet effet chez la souris équivaudrait, chez un enfant de 15 kg, à une consommation quotidienne de deux à trois tasses de café, a calculé Diana Orejuela. Cette dose se compare sans peine à ce qui est déjà administré aux prématurés qui présentent des difficultés respiratoires, signale l’étudiante-chercheuse. «Il y a encore du travail à faire avant d’utiliser un traitement combiné NTBC/caféine chez les enfants malades, mais il s’agit d’une approche simple, peu coûteuse et qui peut être utilisée en mode préventif avant qu’un cancer ne se déclenche», fait-elle valoir.
La tyrosinémie héréditaire frappe 1 personne sur 120 000 dans le monde, mais elle sévit plus fréquemment au Québec où 1 enfant sur 16 000 en est atteint, et encore plus durement au Saguenay-Lac-Saint-Jean où on rapporte 1 cas par 1 850 naissances.