
L'étude met en relief le dilemme des professionnels de la santé qui, par formation et par vocation, veulent aider les malades en leur prodiguant des soins, mais qui doivent faire face aux souffrances des personnes atteintes de SLA et à leur demande d'y mettre un point final.
On se souviendra que le 6 février 2015, la Cour suprême du Canada invalidait un article du Code criminel interdisant l'aide médicale à mourir et qu'elle accordait un délai de 16 mois aux gouvernements du Canada et des provinces pour revoir leurs lois en conséquence. Comme la SLA répond aux critères pour lesquels l'aide médicale à mourir doit être fournie, le professeur Dupré et 12 autres cliniciens et chercheurs canadiens ont voulu sonder les opinions et attitudes par rapport à l'aide médicale à mourir chez les professionnels de la santé engagés dans les soins aux personnes atteintes de cette maladie.
Rappelons que la SLA, aussi appelée maladie de Lou Gehrig, attaque les neurones responsables des mouvements, ce qui conduit à la paralysie progressive des muscles des membres et du tronc, incluant les muscles respiratoires, et, à moyen terme, au décès des patients. «La SLA entraîne une grande détresse psychologique parce que le patient se sent progressivement décliner et dépérir, qu'il dépend des autres pour tous les gestes et les soins quotidiens et qu'il a la perception que sa vie n'a plus de valeur», souligne Nicolas Dupré, qui côtoie ces patients à titre de neurologue et de responsable de la clinique SLA du CHU de Québec-Université Laval.
Le sondage effectué entre le 2 octobre et le 3 décembre 2015, soit pendant le délai accordé par la Cour suprême, a suscité un vif intérêt dans les cliniques affectées à la SLA, comme en fait foi le taux de participation qui a atteint 74%. «La question de l'aide médicale à mourir est très préoccupante pour ces soignants et ils tenaient visiblement à exprimer leur opinion sur le sujet», constate le professeur Dupré. Les réponses révèlent que 77% des médecins et 81% des autres professionnels de la santé croient que l'aide médicale à mourir devrait être accessible aux patients atteints de SLA, surtout lorsque la maladie a atteint un stade avancé et qu'elle occasionne de grandes souffrances aux patients. Par contre, à peine 34% des médecins accepteraient de faire une ordonnance pour une drogue orale qui mettrait fin à la vie d'un patient ayant atteint un stade avancé de SLA et seulement 31% accepteraient de lui faire une injection létale. «Il s'agit là de réponses théoriques fournies à un sondage. Dans la réalité, je soupçonne que les pourcentages sont plus faibles», avance Nicolas Dupré.
Ces résultats illustrent bien le dilemme des professionnels de la santé qui, par formation et par vocation, veulent aider les malades en leur prodiguant des soins, mais qui doivent faire face aux souffrances des personnes atteintes de SLA et à leur demande d'y mettre un point final. «L'aide médicale à mourir exige un grand engagement émotionnel de la part de l'équipe traitante, en particulier du médecin qui coordonne la demande du patient et qui est appelé à poser le geste, souligne le professeur Dupré. Contrairement à d'autres pays, nous avons encore peu d'expérience dans le domaine et les médecins qui s'engagent dans cette voie sont encore peu nombreux. Ce sont des missionnaires qui ont la maturité professionnelle pour composer avec le tabou associé à l'aide médicale à mourir.»
Aider un patient à mourir n'est pas un geste naturel pour un soignant, poursuit-il. «Il s'agit d'un geste qui doit être rationalisé. La formation des médecins ne les préparait pas à faire face à de telles demandes, mais c'est en voie de changer. Le Collège des médecins du Québec a produit un guide exemplaire pour les médecins en exercice. Ici à la Faculté de médecine, nous avons formé un comité chargé d'élaborer un cours sur l'aide médicale à mourir, qui sera bientôt donné aux étudiants et aux résidents en médecine afin de les préparer à cette nouvelle réalité de la pratique médicale.»