Louer des ruches aux producteurs de canneberges et de bleuets pour accroître la pollinisation de ces petits fruits est-elle une activité véritablement rentable pour les apiculteurs? La question se pose à la lumière d’une étude publiée dans Plos One par des chercheurs de l’Université Laval. En effet, leurs travaux suggèrent que les séjours des abeilles dans les cannebergières et les bleuetières hypothèquent la santé des colonies.
Claude Dufour et Pierre Giovenazzo, du Département de biologie et de la Chaire de leadership en enseignement en sciences apicoles, et Valérie Fournier, du Département de phytologie et du Centre de recherche et d'innovation sur les végétaux, en ont fait la démonstration en étudiant différents indicateurs de santé de 20 colonies d’abeilles. Subdivisées en 4 groupes, ces colonies ont été placées dans les conditions suivantes:
Groupe 1: installées en permanence en milieu agricole diversifié;
Groupe 2: installées en milieu agricole diversifié avec un séjour de deux semaines en bleuetière;
Groupe 3: installées en milieu agricole diversifié avec un séjour de 4 semaines en cannebergière;
Groupe 4: installées en milieu agricole diversifié avec des séjours de 2 semaines en bleuetière et de 4 semaines en cannebergière.
Après un suivi qui s'est échelonné sur plusieurs mois, les chercheurs ont démontré que le séjour en cannebergières (groupes 3 et 4):
Augmente le parasitisme causé par le virus de la cellule royale noire et par le virus sacciforme;
Augmente la mortalité hivernale;
Réduit ou annule le gain de biomasse de la colonie. Ce gain est un indicateur de la croissance des abeilles et des réserves nutritives de la ruche. Le retour de ces colonies en milieu agricole diversifié ne permet pas de compenser ce déficit. À la fin de la saison, la différence de poids entre les colonies qui ont séjourné en cannebergières et les autres colonies varie de 25 à 40 kg.
Quant au séjour en bleuetière (groupes 2 et 4), il causerait, pendant la période de pollinisation commerciale, une diminution du nombre de larves qui parviennent au stade final de développement. «Cette diminution de la population de larves n'est pas un signe de santé pour la colonie», précise l'étudiante-chercheuse Claude Dufour.
Les chercheurs attribuent ces effets négatifs à des carences alimentaires qui se manifestent pendant la période de pollinisation commerciale. «D'une part, les canneberges produisent peu de nectar. D'autre part, la diversité florale autour des cannebergières est faible, signale l'étudiante-chercheuse. Comme le nectar est la principale source d’énergie des abeilles et qu’elles n’en trouvent pas suffisamment lorsqu’elles sont installées en cannebergières, les butineuses doivent travailler plus fort et elles s’épuisent. Quant aux bleuetières et aux milieux qui les entourent, le pollen que les abeilles y récoltent contient moins de 20 % de protéines, ce qui peut affecter la ponte de la reine ou le développement des larves.»
Des suppléments alimentaires pour les abeilles?
Pour atténuer ces problèmes, Claude Dufour suggère de fournir des suppléments de protéines – sous forme de galettes de pollen ou de galettes de protéines végétales – aux colonies installées dans les bleuetières. Pour les colonies installées en cannebergières, elle propose de fournir un sirop de sucrose aux abeilles afin de combler leurs besoins énergétiques.
L’étudiante-chercheuse reconnaît que les abeilles rendent de précieux services aux producteurs de petits fruits. «Grâce à la pollinisation commerciale, la mise en fruits augmente de plus de 70% dans les bleuetières et d’environ 50% dans les cannebergières», souligne-t-elle.
Par contre, il y a lieu de se demander si les apiculteurs y trouvent aussi leur compte. «Les services de location d’abeilles représentent environ 27% de leurs revenus annuels. Par contre, la santé des colonies et la production de miel en souffrent par la suite. Dans le cadre de mes travaux de doctorat, j’ai l’intention de faire une analyse économique détaillée qui fera le point sur le sujet. Pour le moment, j'ai des doutes. Je suis propriétaire d’une vingtaine de colonies et je ne fais pas de pollinisation commerciale. J'ai l'impression que ça ne vaut pas le coût, mais l'analyse économique fournira une réponse objective à cette question.»