
Guy Boivin, professeur à la Faculté de médecine, chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les virus Influenza et les autres virus respiratoires.
— Marc Robitaille
Créer un nouveau médicament et franchir toutes les étapes qui mènent à sa commercialisation exige environ 12 ans. Guy Boivin croit que l'on peut et que l'on doit faire mieux, surtout dans une situation d'urgence sanitaire mondiale comme celle créée par la COVID-19. La solution qu'il préconise: plutôt que de partir de zéro, fouillons la pharmacopée et utilisons à de nouvelles fins des médicaments existants, une opération qu'il nomme «repositionnement de médicaments».
Le professeur Boivin, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, et ses collaborateurs de l'Université Claude Bernard Lyon 1 ont prouvé la validité de cette approche avec la grippe saisonnière. En effet, ils ont ciblé un médicament, le diltiazem, qui pourrait bientôt s'ajouter au maigre arsenal d'antiviraux contre l'influenza. Ce produit est habituellement prescrit contre l'angine de poitrine. Les premiers résultats sont encourageants et un essai clinique de phase 2 a été lancé en France. Les chercheurs ont même créé une entreprise, Signia Therapeutics, pour faciliter le passage des médicaments repositionnés vers le milieu clinique.
Guy Boivin et ses collaborateurs ne s'y prennent pas au hasard pour repérer les médicaments qui peuvent être repositionnés. «Nous utilisons des cellules épithéliales du système respiratoire humain qui sont infectées par un virus et nous faisons la liste des gènes dont l'expression est augmentée ou diminuée par l'infection, explique le professeur Boivin. Nous consultons ensuite une base de données qui décrit l'effet de différents médicaments sur l'expression des gènes humains et nous tentons de repérer ceux dont la signature cellulaire est la plus contraire à la signature de l'infection. Nous testons ensuite les médicaments candidats contre le virus in vitro, puis chez des animaux et enfin chez l'humain.»
Les Instituts de recherche en santé du Canada voient dans cette approche un élément de solution pour contrer la pandémie de COVID-19. Ils viennent d'ailleurs d'accorder une subvention de 900 000$ au professeur Boivin pour le repositionnement de médicaments contre le nouveau coronavirus. La somme servira aussi à réaliser une modélisation d'une enzyme essentielle à la reproduction du virus, la polymérase. Le professeur Boivin et son collègue Sheng-Xiang Lin utiliseront ce modèle pour repérer les sites de l'enzyme vers lesquels ils pourraient diriger des inhibiteurs capables de la rendre inopérante.
Gagner du temps
Le professeur Boivin est médecin infectiologue et chercheur au CHU de Québec – Université Laval depuis 1994. Il a signé plus de 300 publications scientifiques et il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les virus Influenza et les autres virus respiratoires. «Concilier la recherche et la clinique est très exigeant, mais c'est aussi très stimulant. Ça me permet de trouver sans cesse de nouvelles idées de recherches pour améliorer les soins aux patients.»
Par la force des choses, il a développé une expertise dans le domaine des pathogènes émergents, ces microorganismes qui passent de l'animal à l'humain ou qui changent soudainement de virulence. «Il y a continuellement de nouveaux virus qui apparaissent, mais la plupart ne deviennent jamais une menace à grande échelle pour la santé humaine. Si on a l'impression que leur nombre augmente, c'est que, d'une part, on dispose de meilleurs outils moléculaires pour les détecter et, d'autre part, on assiste à un accroissement des déplacements internationaux, de sorte que des virus qui apparaissent à un endroit donné de la planète peuvent être disséminés rapidement à grande échelle s'ils se transmettent facilement entre humains. C'est ce qu'on a vu avec le SARS-CoV-2.»
— Guy Boivin
Au cours des dernières années, Guy Boivin a suivi avec intérêt l'émergence de nouveaux virus au Canada, entre autres l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002-2003 et la pandémie de grippe H1N1 en 2008-2009. Peut-on en tirer des leçons qui nous aideraient à affronter la présente pandémie?
«Dans le cas du SRAS, le virus était beaucoup plus dangereux, mais il se propageait moins facilement que le SARS-CoV-2, souligne-t-il. Les mesures strictes d'isolation des personnes infectées ont suffi pour mettre fin à l'épidémie. Le virus n'a pas disparu, mais il n'y a pas eu de nouvelles flambées chez l'humain.»
Dans le cas du virus H1N1, un vaccin est devenu disponible pendant la pandémie, rappelle-t-il. «Une bonne partie de la population s'est fait vacciner et beaucoup de personnes âgées avaient déjà été exposées à un virus apparenté au H1N1 qui avait circulé au pays entre 1918 et 1957. Il y a maintenant une immunité de groupe contre le H1N1, de sorte que même si le virus circule toujours, il ne suscite plus autant d'inquiétude.»
— Guy Boivin
Et cette fois, qu'est-ce qui mettra fin à la pandémie? «Les espoirs sont placés dans le développement de vaccins et de traitements antiviraux, mais il faut du temps pour les développer. L'adoption de comportements qui freinent la propagation du virus nous sert à gagner ce précieux temps. On peut aussi espérer que l'arrivée de températures plus clémentes nous aidera en ce sens. Les autres espèces de coronavirus qui causent des maladies respiratoires chez l'humain se propagent surtout pendant la saison froide. On espère que le SARS-CoV-2 va se comporter de la même façon.»