
Eve Dubé et ses collaborateurs vont analyser le contenu des discours sur les réseaux sociaux afin de comprendre ce qui suscite la méfiance ou la confiance chez les gens réticents à se conformer aux recommandations de santé publique.
Des jeunes qui font la fête, des personnes âgées qui se réunissent pour prendre leur traditionnel café quotidien, des gens qui s'installent quelques centimètres derrière vous à la caisse de l'épicerie ou de la pharmacie. Ces situations ne mentent pas. Les recommandations visant à prévenir la propagation de la COVID-19 ne sont pas entendues par tous. «Pourtant, en absence de vaccin ou de traitement, ces mesures sont notre seule arme contre la COVID-19. Pour que ces mesures soient adoptées par le plus grand nombre, il faut comprendre pourquoi certaines personnes n'adhèrent pas aux messages de santé publique», estime la spécialiste en anthropologie de la santé, Eve Dubé.
Professeure au Département d'anthropologie et chercheuse à l'Institut national de la santé publique du Québec et au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, Eve Dubé est convaincue que les sciences sociales sont essentielles au succès des interventions en santé publique. C'est d'ailleurs ce qui l'a poussée vers l'anthropologie de la santé à l'Université Laval où elle a fait une maîtrise (2003) et un doctorat (2007) sur les enjeux éthiques liés au VIH et aux lieux d'injection sécuritaire de drogues intraveineuses.
«Je voulais faire quelque chose d'utile pour la société, dit-elle. Pour qu'une intervention en santé publique soit efficace, il faut que les gens l'acceptent. Même la meilleure intervention sera inefficace si les gens ne l'adoptent pas. Ce choix dépend de facteurs personnels et socioculturels qu'il est important de bien cerner.»
Depuis, Eve Dubé s'est surtout fait connaître pour ses travaux sur l'hésitation à la vaccination chez les parents québécois. Cette méfiance, qui relève souvent de motifs religieux ou idéologiques, a pris de l'ampleur grâce à Internet, constate-t-elle. «Nos comportements dépendent de ce que les gens disent et font autour de nous. Auparavant, les personnes qui avaient des croyances marginales étaient isolées. Maintenant, elles trouvent sur Internet d'autres personnes avec qui elles ont une communion d'idées, ce qui contribue à normaliser leurs croyances. De plus, les informations diffusées sur Internet créent beaucoup de confusion entre le vrai et le faux et contribuent à éroder le sentiment de confiance à l'endroit des experts et des institutions.»
— Eve Dubé
La chercheuse souligne que nous vivons une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle au Québec et que les normes quant aux comportements recommandés évoluent à mesure que la menace se fait plus concrète. «Ce qui était acceptable il y a quelques jours ne l'est plus aujourd'hui. La plupart des gens affichent une solidarité exemplaire. Pour d'autres, c'est malheureusement plus long.»
Eve Dubé et ses collaborateurs de quatre provinces canadiennes et du Massachusetts viennent de recevoir une subvention de 500 000$ des Instituts de recherche du Canada pour établir les causes de ces réticences. «Nous allons faire appel à l'intelligence artificielle pour analyser le contenu des discours sur la COVID-19 dans les médias sociaux et dans la section «Commentaires» des articles diffusés sur le site Web de la CBC, précise la professeure Dubé. Nous voulons voir comment la méfiance, les craintes et la confiance évoluent en réponse à des moments-clés de l'épidémie et à des décisions gouvernementales. Nous allons aussi mener des entrevues individuelles avec des influenceurs Web.»
— Eve Dubé
En matière de santé publique, Eve Dubé n'est pas une adepte de la manière forte, comme la vaccination obligatoire par exemple. Elle préconise plutôt la tolérance et le dialogue. «Pour qu'un comportement soit durable, il faut qu'une personne l'adopte de façon réfléchie et volontaire et il faut qu'il reflète ses croyances et ses valeurs. Notre responsabilité collective est de donner le bon exemple en adoptant les comportements recommandés, ce qui renforce la norme. La puissance de la norme, c'est très fort.»