L'après-midi touche à sa fin. C'est le branle-bas de combat au quai 27 du Port de Québec. L'Amundsen s'apprête à lever l'ancre. À bord, une soixantaine de personnes, incluant matelots, officiers et membres de la communauté scientifique. Destination: le fjord du Saguenay. Deux arrêts sont prévus dans les secteurs de la baie Éternité et des Escoumins.
L'objectif de ce bref séjour en mer est de tester les équipements de recherche qui serviront à la prochaine mission nordique. «Évidemment, dans l'Arctique, il n'y a pas de magasins ou de ressources spéciales pour s'approvisionner en équipements de recherche ou en pièces de remplacement. C'est pourquoi, avant chaque expédition annuelle, nous faisons une batterie de tests. C'est aussi l'occasion de former et d'entraîner le personnel de la Garde côtière, les étudiants et les professionnels techniques à l'utilisation d'appareils spécifiques à nos missions», explique Alexandre Forest, directeur général d'Amundsen Science, l'organisation liée à l'Université Laval qui gère le mandat scientifique du navire.
Le NGCC Amundsen est l'un des rares brise-glaces de la Garde côtière canadienne à avoir une double vocation. L'hiver, il est affecté au contrôle des inondations, au déglaçage et à l'escorte de navires. L'été, il se consacre aux missions scientifiques. En plus de nombreux équipements de recherche, il est doté de laboratoires et d'infrastructures destinés aux océanographes, climatologues, géologues, épidémiologistes et autres chercheurs qui travaillent sur les enjeux nordiques.
L'auteur de ces lignes, néophyte du monde naval, l'admet: le brise-glace, quand on y met le pied la première fois, est un brin intimidant. Ses équipements imposants, ses couloirs labyrinthiques et ses escaliers étroits ont de quoi donner le tournis. Fort heureusement, les employés de la Garde côtière, malgré leur horaire chargé, ne se font pas prier pour faire visiter les lieux, de la timonerie à la salle des machines, en passant par les cuisines, l'infirmerie et le hangar à hélicoptère.
Ce qui frappe sur l'Amundsen, c'est ça: l'accueil chaleureux, l'affabilité et la collaboration entre chaque membre de l'équipage et de la communauté scientifique. «L'aspect collégial est très important sur le navire. Lors d'une expédition, on peut se retrouver jusqu'à 80 personnes à bord. C'est une communauté qui gravite autour d'elle-même pendant 28 à 42 jours. On crée un mini-village où tous s'entraident, jour et nuit, afin d'atteindre les objectifs scientifiques de la mission», souligne Alexandre Forest.
La vie quotidienne sur un navire scientifique
Des équipements de recherche à la fine pointe de la technologie
Sur le bateau se trouvent deux équipements particulièrement novateurs, le sous-marin autonome (ou AUV, pour autonomous underwater vehicle) et le sous-marin téléguidé (ROV pour remotely operated vehicle), qui enregistrent une foule de données sur les écosystèmes marins. Le professeur Marcel Babin nous explique leur fonctionnement:
Autre appareil incontournable de la recherche dans l'Arctique, la rosette permet de prélever des échantillons d'eau à différentes profondeurs. Elle est composée d'une vingtaine de bouteilles dont l'ouverture est déclenchée depuis la salle de contrôle. Devant ses écrans d'ordinateur, Pascal Guillot, professionnel de recherche à la Faculté des sciences et de génie, s'assure que tout se déroule comme sur des roulettes.
Acteurs clés de la recherche
Les professionnels de recherche de l'Université Laval jouent un rôle essentiel dans les missions de l'Amundsen. Tout en étant dans l'ombre, ils contribuent à l'avancement de la science et de l'innovation.
Entretien avec trois passionnés qui nous font découvrir leur métier.
Thibaud Dezutter n'aurait jamais pensé travailler sur un navire. Le déclic s'est fait lors d'un cours en océanographie alors qu'il était inscrit au baccalauréat en biologie. «C'est le professeur Louis Fortier qui m'a donné le goût d'aller dans ce domaine. Après une maîtrise en biologie marine, il m'a embauché dans son laboratoire. Lorsque j'ai su qu'Amundsen Science cherchait quelqu'un pour compléter l'équipe, j'ai sauté sur l'occasion», raconte celui qui a quitté la biologie pour devenir technicien des instruments scientifiques. Son rôle: veiller au fonctionnement et à la sécurité des divers équipements de recherche. «Avec Amundsen Science, je fais complètement autre chose tout en restant dans le domaine de la recherche. Je vois l'autre côté de la médaille. Ça représente de nouveaux défis.»
Le professionnel de recherche tient à rendre hommage à son mentor, décédé l'an dernier, sans qui son parcours n'aurait pas été possible. «Le fait d'avoir eu Louis Fortier comme professeur et directeur de maîtrise, c'est ce qui m'a permis d'entrer dans ce monde-là. Je me sens choyé de pouvoir continuer à travailler dans ce qu'il a bâti au cours de son impressionnante carrière.»
Pascal Guillot partage son temps entre Québec-Océan et Amundsen Science. Lorsqu'il est sur le navire, il est opérateur de la rosette. «Ce travail demande énormément de rigueur. En plus des aspects sécuritaires, il faut réussir à faire arrêter l'appareil aux bonnes profondeurs pour que les chercheurs puissent récupérer l'eau dont ils ont besoin pour leurs recherches.»
Habitué des missions dans l'Arctique, Pascal Guillot ne changerait de place pour rien au monde. «Le travail sur l'Amundsen est totalement différent du travail de bureau, où je fais du traitement de données. Le rythme de travail n'a rien à voir; on rencontre des gens de partout dans le monde, l'ambiance est effervescente. Pour moi, c'est un plaisir de combiner travail de bureau et travail de terrain.»
Le séjour de Guislain Bécu sur le bateau ne s'est pas déroulé tout à fait comme prévu. L'appareil dont il s'occupe, le sous-marin autonome, avait besoin d'une importante mise à jour de logiciels avant d'être mis à l'eau. Une véritable course contre la montre s'est enclenchée pour ne pas retarder les essais. «Le sous-marin est un équipement très complexe qui comprend plusieurs ordinateurs liés les uns aux autres. Chacun a sa version de logiciel. Pour chaque mise à jour, il faut suivre une procédure, ce qui demande du temps. Comme on le sait, le temps est compté sur l'Amundsen», dit-il.
Formé en physique atomique et moléculaire en France, Guislain Bécu travaille pour Takuvik depuis un peu plus de 10 ans. «Chaque mission sur l'Amundsen est différente et comprend des défis qui lui est propre. C'est ce qui m'anime.»
L'Amundsen en quelques chiffres
Longueur: 98,33 mètres
Largeur: 19,51 mètres
Puissance: 10 142 kilowattheures
Vitesse maximale: 16 nœuds
Vitesse de croisière: 12 nœuds
Nombre de ponts: 6
Construction: 1979