Il voyait loin. Il voyait grand. Toujours plus grand. Il savait lire les courants scientifiques et sociaux et éviter les écueils pour mener ses projets à bon port. Et il savait surtout entraîner les autres dans son sillage.
Louis Fortier s'est éteint le 4 octobre à l'âge de 66 ans. L'Université Laval, le Québec et le Canada perdent un éminent chercheur en océanographie arctique, un visionnaire et un infatigable leader de la recherche nordique.
Né à Québec le 25 octobre 1953, Louis Fortier a fait des études à l'Université Laval – un baccalauréat en biologie (1976) et une maîtrise en écologie marine (1979) – avant d'obtenir un doctorat en océanographie des pêches de l'Université McGill (1983). Après des études postdoctorales à l'Université de Plymouth en Angleterre, il obtient un poste de professeur au Département de biologie de l'Université Laval en 1989.
S'amorce alors une carrière placée sous le sceau de la recherche en océanographie arctique, des alliances, des collaborations internationales et des mégaprojets. D'abord, entre 1991 et 1995, il coordonne la participation canadienne à la première étude internationale de la polynie du Nord-Est, une zone située dans la mer du Groenland. «Les polynies sont des oasis dans un désert de glace, des points chauds au cœur des mers arctiques», disait-il dans le langage imagé qui en faisait un vulgarisateur scientifique recherché.
En 1995, il coordonne une demande de subvention pour une étude internationale portant sur la polynie des eaux du Nord, située celle-là dans la baie de Baffin. La première demande est refusée. Il revient à la charge et le CRSNG accorde près de 5M$ au projet, qui s'est déroulé de 1997 à 2001 et auquel une soixantaine de chercheurs de 10 pays ont participé. «Pour réussir dans le rôle de leader, j'ai appris qu'il ne faut jamais se décourager. Il faut faire preuve d'abnégation, d'obstination et d'endurance», me disait-il lors d'une entrevue réalisée en 2005.
L'importance qu'il accordait aux alliances s'exprimait aussi à l'échelle du Québec. C'est sous sa gouverne que le Groupe interuniversitaire de recherches océanographiques du Québec (GIROQ) a élargi ses cadres pour devenir, en 2001, Québec-Océan, un centre qui rassemble depuis les chercheurs québécois en océanographie.
À partir de là, Louis Fortier a le vent en poupe. Il met sur pied un consortium formé de chercheurs de 12 universités et de 5 agences gouvernementales qui propose de convertir un navire qui avait été désaffecté en 2000, le Sir John Franklin, en navire de recherche. En 2002, il obtient un financement de 30,7M$ pour la mise à niveau et à la conversion de ce bâtiment. En 2003, au moment de sa première mission en Arctique, le navire est renommé d'après l'explorateur polaire norvégien Roald Amundsen. «C'est l'une de ses grandes fiertés. Il a réussi à prendre un bateau qui s'en allait à la casse pour en faire un navire scientifique à la disposition de la communauté des chercheurs nordiques», souligne Alexandre Forest, directeur général d'Amundsen Science.
Avec l'Amundsen comme carte maîtresse dans son jeu, le professeur Fortier obtient du financement pour le projet CASES (10,5 M$) accordé à un regroupement de 200 chercheurs de 10 pays, puis pour son projet de Réseau de centres d'excellence ArcticNet. «Ce projet a donné une vision nationale à la recherche nordique au Canada et il a favorisé le rapprochement de chercheurs qui auparavant travaillaient chacun de leur côté», souligne Martin Fortier, qui a été le directeur général d'ArcticNet jusqu'en 2016 et qui est aujourd'hui directeur général de Sentinelle Nord à l'Université Laval.
Depuis sa création, ArcticNet a permis l'injection de plus de 120 M$ en recherche nordique. Aujourd'hui, les quelque 175 chercheurs canadiens et étrangers des domaines des sciences naturelles, des sciences sociales et des sciences de la santé qui font partie du réseau collaborent à l'étude des effets des changements climatiques sur les communautés inuites et sur les écosystèmes marins et terrestres. Et, comme le souhaitait Louis Fortier, ces travaux sont réalisés de concert avec les communautés locales.
Le dernier grand projet dont Louis Fortier a été le visionnaire est l'Institut nordique du Québec (INQ). «Tous les projets qui dépendent de subventions ont une durée limitée dans le temps. C'est pour pérenniser ce qui avait été réalisé jusque-là que Louis souhaitait la création d'un institut permanent regroupant les chercheurs québécois actifs en recherche nordique. Dans sa vision, l'INQ était aussi l'un des noyaux d'un institut national qui pourrait donner au Canada la place qu'il doit prendre en recherche nordique à l'échelle internationale», explique le professeur du Département de biologie, Jean-Éric Tremblay, qui a succédé à Louis Fortier à titre de directeur de l'INQ.
Un visionnaire et un bâtisseur
Tous les succès qui ont jalonné la carrière de Louis Fortier ne sont pas le fruit du hasard. «Louis a apporté une contribution majeure à l'étude des poissons marins, en particulier de la morue arctique. Mais on retiendra surtout son œuvre de bâtisseur. C'était une locomotive, un fonceur, qui avait une force de persuasion hors du commun et un enthousiasme communicatif», souligne le professeur Tremblay.
Martin Fortier, qui a fait sa maîtrise et son doctorat dans l'équipe de Louis Fortier avant de devenir son bras droit pendant près de deux décennies, abonde dans le même sens. «Son succès est attribuable à sa motivation, son énergie, sa passion et son ambition, dans le bon sens du terme. Il fonçait dans la vie à 100 milles à l'heure. C'était un visionnaire doté d'une personnalité très forte. Il a aussi compris rapidement l'importance d'être présent dans les médias pour mettre la recherche nordique sur la carte et pour intéresser les politiciens au sujet.»
D'ailleurs, ses qualités de communicateur lui ont été d'un précieux secours dans tous les aspects de sa carrière. «J'ai développé un certain talent pour rédiger des demandes de subventions, m'a-t-il déjà confié. Toutes les bonnes demandes sont valables sur le plan scientifique. Pour se démarquer, il faut y mettre à la fois de la conviction, de la passion, de la perspective et de l'urgence.»
Ce talent n'est pas étranger au fait qu'il était un avide lecteur, croit Alexandre Forest, qui a lui aussi fait ses études doctorales dans l'équipe de Louis Fortier. «Il lisait énormément, que ce soit des romans policiers, des articles scientifiques ou même des bandes dessinées. C'était d'ailleurs un tintinologue averti. Il avait toujours un livre avec lui. Ses lectures lui ont permis de développer un style qui caractérisait ses demandes de subventions et même ses articles scientifiques. Elles sont à la source de sa vaste culture dont s'alimentait sa créativité.»
Il ne fait pas de doute que les mégaprojets étaient un puissant carburant pour Louis Fortier. Mais, en dépit de la charge de travail qui y était associée, il a toujours poursuivi ses recherches et dirigé des étudiants-chercheurs. Dans une entrevue qu'il m'avait accordée après avoir été nommé Scientifique de l'année 2004 de Radio-Canada, il avait d'ailleurs exprimé le souhait de se consacrer davantage à ses recherches. «Ce qui me donne le plus de satisfaction dans mon travail est lorsqu'un étudiant m'apporte des résultats inattendus et qu'on en discute. Ces moments sont devenus plus rares depuis que je m'occupe davantage d'administration de la recherche.»
La réalité fait cependant qu'il y a toujours un autre Everest à gravir. «Un bâtisseur, tu n'arrêtes pas ça, dit Alexandre Forest. Louis voyait toujours plus grand que nature. Il avait toujours des idées en réserve. C'était un homme de génie pour les grands et les petits projets.»