Ces conclusions, pour le moins déroutantes, proviennent d’une étude réalisée par Edeltraut Kröger, Zohra Benounissa, René Verreault (Médecine), Danielle Laurin (Pharmacie), Ross Andel (U. of South Florida) et Joan Lindsay (U. d’Ottawa) auprès de 3557 Canadiens de plus de 65 ans qui ont fourni des renseignements sur leur vie personnelle et professionnelle dans le cadre de l’Étude canadienne sur la santé et le vieillissement. Dans les dix années qui ont suivi le début de l’étude, 400 participants ont reçu un diagnostic de démence, dont 299 cas d’Alzheimer, ce qui a permis aux chercheurs d’explorer les liens possibles entre ces maladies et les postes occupés antérieurement.
Les chercheurs ont classé les emplois selon trois axes de complexité: les rapports avec les personnes, les objets et les données. Ils ont ainsi montré que le risque de démence et d’Alzheimer était entre 50 % et 70 % plus faible chez les gens qui avaient occupé un travail d’une complexité élevée par rapport aux personnes ou aux objets que chez ceux dont l’emploi avait une complexité faible sur ces plans. Pour profiter de cet effet protecteur, il faut toutefois faire montre de persévérance puisqu’il n’est manifeste que chez les personnes qui ont occupé un emploi complexe pendant au moins 23 ans.
À l’opposé, les chercheurs rapportent que le risque de démence et d’Alzheimer augmentait respectivement de 1,7 et de 2,8 fois chez les gens dont le travail impliquait une complexité élevée par rapport aux données. Ces emplois pourraient avoir des effets néfastes sur le fonctionnement du cerveau en raison du stress qu’ils occasionnent ou du manque d’interactions sociales qui s’y rattache, avancent les chercheurs.
Depuis une trentaine d’années, de nombreuses études ont tenté d’expliquer le lien entre un niveau de scolarité élevé et un faible risque de démence, rappelle René Verreault. Un courant de pensée, inspiré de l’adage «ce qui ne sert pas s’atrophie», avance que le travail cérébral préserverait l’intégrité des capacités intellectuelles, d’où l’idée que la complexité du travail auquel nous consacrons une bonne partie de notre vie puisse avoir un effet protecteur contre la démence. «La moitié des chercheurs du domaine croit l’idée plausible, l’autre pas, et les données de notre étude ne permettent pas de trancher définitivement la question, reconnaît le professeur. Pour y arriver, il nous faudrait des outils plus raffinés qui traduiraient mieux la complexité réelle du travail occupé par chaque personne au cours de sa vie.»