
Pour faire cette démonstration, les chercheurs ont d'abord présenté à chaque participant un intervalle cible variant de 6 à 24 secondes. Pendant la présentation de cet intervalle, le sujet devait successivement utiliser l'une des trois stratégies suivantes: se concentrer uniquement à estimer la durée de l'intervalle, compter ou encore chanter Au clair de la lune à son propre rythme. Ces deux dernières stratégies, dites de segmentation, étaient appliquées pendant la phase test de l'expérience afin d'aider à l'estimation du temps écoulé.
Le sujet devait reproduire l'intervalle cible à 30 reprises en marquant le début et la fin à l'aide de la barre d'espacement d'un ordinateur. Les données recueillies ont servi à calculer l'écart entre la durée cible et la durée estimée ainsi que le coefficient de variation (l'écart type divisé par la durée de l'intervalle cible) pour chaque groupe.
Les résultats de cette expérience, rapportés dans un récent numéro de la revue Attention, Perception & Psychophysics, montrent que les stratégies de segmentation sont très efficaces pour les non-musiciens puisqu'elles réduisent très nettement l'écart par rapport à la cible (pour une cible de 24 secondes, l'erreur moyenne, qui était de 6 secondes, passe sous la barre des 0,250 seconde). Reste que les musiciens font encore mieux. Non seulement estiment-ils avec plus de justesse le temps écoulé, peu importe la durée de l'intervalle, mais leur coefficient de variation est deux fois plus petit, un signe manifeste de constance. Par contre, aucune des deux stratégies de segmentation ne s'est révélée supérieure à l'autre: le fait de compter ou de chanter induit des variations de même ampleur par rapport à la cible, et ce, dans les deux groupes de sujets.
Que les musiciens aient une meilleure horloge interne que le commun des mortels coule de source, pourrait-on croire. Pourtant, une étude publiée en 2007 par des chercheurs montréalais avait montré que des gens recrutés dans la rue, sans formation musicale particulière, parvenaient à chanter le refrain de Gens du pays avec une justesse de rythme comparable à celle de cinq chanteurs professionnels, dont Gilles Vigneault lui-même. La bonne performance des musiciens rapportée dans la présente étude laisse supposer que d'autres mécanismes entrent en jeu, avancent les chercheurs Grondin et Killeen.