Directeur artistique du Théâtre des Nations de Moscou, Evgueni Mironov a joué dans plusieurs productions légendaires, et ce, aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Depuis une semaine, il est à Québec avec sa troupe pour transposer au théâtre le roman Le maître et Marguerite. Il s’agit de sa seconde collaboration avec Robert Lepage après Hamlet/Collage, créé au Théâtre des Nations en 2013.
Le Diamant, où se déroulent les répétitions, a profité de son passage pour organiser une discussion avec les deux créateurs le 13 décembre. L’activité, traduite en simultanée par des interprètes, s’adressait aux professionnels du milieu du théâtre, aux étudiants en arts ainsi qu’aux enseignants et aux étudiants en études russes. En tout, une cinquantaine de personnes ont assisté à cette rencontre d’une durée de deux heures.
Evgueni Mironov a expliqué pourquoi il a fait appel à Robert Lepage pour adapter Le maître et Marguerite, chef-d’œuvre de la littérature russe du XXe siècle. «Pour moi, Robert est quelqu’un de notre école. Par cela, j’entends la manière et le style avec lesquels il travaille. Je ne parle pas ici de Robert Lepage le metteur en scène, mais bien Robert Lepage l’acteur. Il y a un peu de Stanislavski dans son jeu. Je n’oublierai jamais les émotions vécues en voyant ses premiers spectacles.»
À la fois histoire d’amour, critique sociale, comédie burlesque et conte fantastique, Le maître et Marguerite regorge de personnages et d’intrigues. Pour Lepage, ce roman de Mikhaïl Boulgakov est «une œuvre absolument impossible à réaliser au théâtre», et c'est justement pourquoi il a accepté ce pari un peu fou.
Avec les acteurs russes, le metteur en scène québécois se frotte à une autre façon de travailler. «Les Russes ont une très grande culture générale. Quand on les dirige, on a l’impression qu’ils ont un bagage de références totalement différent du nôtre. Nos références sont souvent cinématographiques ou télévisuelles, mais les Russes n’hésitent pas à puiser dans d’autres répertoires pour construire leurs personnages.»
En dépit des différences, Russes et Québécois sont liés par une même culture du Nord, a poursuivi Lepage. «Notre lumière, notre température et notre végétation sont à peu près les mêmes, ce qui fait que nous avons développé des points communs sur plusieurs aspects. Malgré les incompréhensions, quand je travaille dans les pays nordiques, je reconnais le Canada, le Québec, notre hiver trop long, notre noirceur intérieure. Cette culture du Nord, c’est ce à quoi je m’accroche en me posant ces questions: de quoi est-elle faite et quel genre d’êtres humains fait-elle de nous?»
Une rencontre appréciée des étudiants
Jade Gagnon, étudiante au baccalauréat en théâtre, s’est dite inspirée par les propos de Lepage et de Mironov. «C’est impressionnant de voir comment deux créateurs qui ne parlent pas la même langue réussissent à se comprendre au-delà de la traduction faite par leurs interprètes. Comme étudiants, les professeurs nous disent souvent de profiter de nos cours pour créer des contacts et lancer des projets. Je me rends compte que ça peut aller très loin, à voir ces deux artistes issus de continents aux antipodes et dont la collaboration est nourrie par leur passion commune de l’art.»
L’étudiante est inscrite aux Ateliers interdisciplinaires. Ce cours, donné pour la première fois cet automne sous l’égide de la Faculté de musique, a réuni 19 étudiants en théâtre, en musique et en arts visuels. Encadrés par Thomas Rieppi, doctorant en éducation musicale, ils devaient mettre sur pied une œuvre collective. Le résultat a été présenté récemment au Studio d’essai de Méduse.
Pour ces étudiants, la conférence au Diamant représentait en quelque sorte une façon de boucler la boucle. «C’est ici que nous avons tenu notre première rencontre en début de session. Le cours ayant été lancé en même temps que l’ouverture du Diamant, l’occasion était belle de découvrir les lieux et d’entrer dans la salle de spectacle pendant les répétitions techniques de la première pièce. Pour moi, le Diamant représente bien la démarche qui est au cœur des Ateliers interdisciplinaires. Il s’agit d’un théâtre qui favorise les rencontres et qui est ouvert sur toutes les pratiques», souligne Thomas Rieppi.
Lui-même artiste interdisciplinaire, le doctorant voit dans cette approche de l’art une façon de stimuler les rencontres et la collaboration. «L’objectif des Ateliers interdisciplinaires est de faire se rencontrer des étudiants qui sont cloisonnés dans leurs disciplines. En plus de créer un projet interdisciplinaire, ce cours leur a permis de faire des rencontres et d’établir des points communs», explique celui qui travaille présentement sur une recherche visant à documenter les retombées du projet.