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Les plateformes comme Uber se basent sur une gestion algorithmique de la main-d'œuvre, notamment pour la répartition des clients et l'évaluation de la performance, avec peu ou pas de supervision humaine. Les travailleuses et travailleurs perçoivent-ils ces décisions comme étant justes? Nura Jabagi, professeure à la Faculté des sciences de l'administration, s'est intéressée à la question dans une étude publiée dans The International Journal of Human Resource Management.
La chercheuse a sondé 435 chauffeuses et chauffeurs Uber sur deux types de décisions algorithmiques. Le premier, plus mécanique, touche la répartition des clients. Le second porte sur l'évaluation de la performance, un type de décision typiquement perçu comme plus subjectif et requérant des compétences humaines. Elle a ainsi pu définir les indicateurs sur lesquels les personnes se basent pour décider si une décision est juste ou non.
Contrairement à la littérature, la possibilité d'exprimer son point de vue et de contester un traitement injuste n'étaient pas des indicateurs d'équité pour les évaluations, mais seulement pour les décisions de répartition. En effet, pour l'analyse des performances, la cohérence, l'absence de parti pris et le respect des normes morales et éthiques étaient les indicateurs principaux.
La professeure Jabagi explique cette divergence dans les indicateurs par le manque de transparence dans l'algorithme d'appariement d'Uber, alors que le fonctionnement de l‘algorithme d'évaluation est plus connu. «La transparence joue donc un rôle crucial pour la perception des décisions algorithmiques, même pour des tâches mécaniques», résume-t-elle.
La chercheuse souligne l'importance de bien présenter l'algorithme aux travailleuses et travailleurs. «Ils vont souvent créer des histoires dans leur tête sur comment l'algorithme fonctionne. Il faut mettre de l'avant les faits saillants en fonction des indicateurs d'équité identifiés.»

La professeure Nura Jabagi s'est intéressée au cas d'Uber après avoir discuté avec des chauffeuses et chauffeurs de leurs enjeux lors de trajets comme cliente.
— Université Concordia
Selon Nura Jabagi, les entreprises doivent retenir que la transparence est essentielle, même pour les tâches simples, afin d'éviter les frictions. «Lorsque les travailleurs se sentent exclus des processus décisionnels, ils peuvent chercher à contester les décisions ou à contourner les systèmes, sapant ainsi l'efficacité que les organisations visent à atteindre avec l'automatisation. En revanche, lorsque les travailleurs comprennent le fonctionnement des algorithmes, ils sont plus enclins à accepter des résultats défavorables, à “agir en bons perdants” et à aller de l'avant sans résistance», explique-t-elle.
Dans le cas d'Uber, la chercheuse suggère de concentrer les efforts sur l'amélioration de la transparence en rassurant les travailleuses et travailleurs que l'algorithme de répartition des clients est «basé sur des informations exactes» et que les «procédures d'évaluation sont menées de manière éthique». «Cibler ces aspects spécifiques de la transparence aurait l'effet le plus important sur la satisfaction au travail», précise-t-elle. Cet aspect est essentiel pour la pérennité d'une plateforme puisqu'il permet de réduire le taux de roulement.
L'étude a été publiée dans la revue The International Journal of Human Resource Management. Les signataires sont Nura Jabagi, Luc K. Audebrand et Josianne Marsan, de l'Université Laval, et Anne-Marie Croteau, de l'Université Concordia.