5 février 2025
L’influence de l’intelligence artificielle sur la culture francophone
En amont du Sommet pour l’action sur l’IA, qui aura lieu à Paris les 10 et 11 février, une rencontre s’est tenue sur le campus entre le Consulat général de France à Québec et des universitaires pour discuter d’IA et de francophonie
![Le consul général de France à Québec, Éric Lamouroux, a prononcé le discours d'ouverture de l'événement «Culture et francophonie à l'ère de l'IA: perspectives franco-québécoises à la veille du Sommet de Paris», qui s'est tenu le 3 février au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins.](https://assets.ulaval.omerloclients.com/333d09553285f04d01db32da591736d2205dcda1064d04a327eaeb22d8f4805b.jpg??width=1024)
Le consul général de France à Québec, Éric Lamouroux, a prononcé le discours d'ouverture de l'événement «Culture et francophonie à l'ère de l'IA: perspectives franco-québécoises à la veille du Sommet de Paris», qui s'est tenu le 3 février au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins.
— Yan Doublet
«La France et le Québec ont la responsabilité de défendre et de promouvoir la langue française. En amont du Sommet, il nous a semblé important d'approfondir la question dans le contexte de la nouvelle économie du numérique et des plateformes de diffusion», a déclaré Éric Lamouroux, consul général de France à Québec, en ouverture de la rencontre «Culture et francophonie à l'ère de l'IA: perspectives franco-québécoises à la veille du Sommet de Paris».
Cet événement, tenu le 3 février au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins, était organisé par le Consulat général de France à Québec et l'Université Laval, en collaboration avec l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'IA et du numérique (Obvia) et l'Institut intelligence et données (IID). Il a permis à trois spécialistes invités – Véronique Guèvremont, professeure à la Faculté de droit de l'Université Laval et titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, Richard Khoury, professeur au Département d'informatique et de génie logiciel de l'Université Laval et président de l'Association pour l'intelligence artificielle au Canada, et Marc-Antoine Dilhac, professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique publique et théorie politique – de mettre en lumière les bienfaits et méfaits de l'intelligence artificielle (IA) sur les expressions culturelles francophones.
De Babel à l'IA
Parmi les nombreux sujets abordés par les panélistes, celui de la traduction a permis de voir que tout n'est jamais blanc ou noir en matière d'IA. Oui, la traduction automatique permet à des groupes de langues étrangères d'entamer un dialogue. Toutefois, elle est rarement directe. La traduction d'une langue minoritaire à une autre langue minoritaire passe par une langue d'interface, l'anglais, qui devient la langue de référence de toutes les traductions.
«Je ne remets pas en question l'idéal d'une traduction directe, indique Richard Khoury. Cependant, en pratique, ça signifie que pour les 6000 langues qui existent, il nous faudrait 36 millions de systèmes de traduction, ce qui va bien au-delà de la capacité actuelle. Et même si c'était possible, est-ce que la valeur ajoutée sur le plan culturel contrebalancerait le coût environnemental d'une telle mesure?» Car, ne l'oublions pas, l'industrie numérique, bien que dématérialisée, possède une très forte empreinte écologique.
Marc-Antoine Dilhac propose donc l'emploi comme interfaces d'un certain nombre de langues majeures qui, pour des raisons sociologique et historiques, ont des liens plus étroits avec des langues plus marginales, ce qui pourrait permettre de mieux représenter certaines particularités et diversités culturelles. Par exemple, il serait plus approprié d'utiliser le français que l'anglais comme langue d'interface entre le romanche et le créole, ou entre des langues locales de l'Afrique francophone.
![Les professeurs Richard Khoury et Marc-Antoine Dilhac ont, entre autres, discuté de la traduction générée par l'IA.](https://assets.ulaval.omerloclients.com/8fe9c37ca88f44853f969f93994afc56fd4f945966acb1da8a66258fa5495dc8.jpg??width=1024)
Les professeurs Richard Khoury et Marc-Antoine Dilhac ont, entre autres, discuté de la traduction générée par l'IA.
— Yan Doublet
Découvrabilité et diversité des contenus culturels
Un autre sujet abordé, soit le risque d'homogénéisation de la culture à l'échelle planétaire, a permis de mettre de l'avant les efforts du Québec en matière de souveraineté culturelle. «On ne peut recommander qu'il y ait seulement un pourcentage de contenus en français sur les plateformes de diffusion, car avec l'IA, il serait facile pour ces plateformes de suggérer des œuvres américaines avec un sous-titrage automatisé pour atteindre le quota. Nous proposons qu'une loi soit adoptée pour valoriser les expressions originales de langue française parce qu'une langue est porteuse d'une culture», soutient Véronique Guèvremont.
Ce risque d'homogénéisation est d'autant plus réel que l'usage des algorithmes ne semble pas neutre dans l'industrie numérique. Au départ, les algorithmes se basaient sur les préférences des utilisateurs pour suggérer du contenu. Néanmoins, même dans ce cas, était-ce bon de proposer des contenus similaires à ceux déjà consommés plutôt que de promouvoir la diversité des expressions culturelles et leur découverte?
Aujourd'hui, la découvrabilité et la diversité des œuvres culturelles semblent encore davantage s'amenuiser. Les recherches récentes montrent que les algorithmes d'une plateforme soutiennent un modèle d'affaires et suggèrent de plus en plus des contenus financés ou produits par cette plateforme.
À titre d'exemple d'appauvrissement culturel, il a été montré que la proportion d'écoute de musique francophone sur les plateformes est inférieure à celle de l'achat de CD ou de téléchargements de contenus en langue française. Les utilisateurs des plateformes ne cherchent plus des artistes, mais des ambiances et se laissent guider par des listes d'écoute défavorables à la diversité culturelle.
![La professeure Véronique Guèvremont est une spécialiste de la découvrabilité et de la diversité des expressions culturelles. Elle est accompagnée de l'animateur de la table ronde et conseiller en communication à l'IID, Raymond Poirier.](https://assets.ulaval.omerloclients.com/b72f1073f191fa7ed493344ebb39ac6e044fa164009d8fc7b799d840b9049c61.jpg??width=1024)
La professeure Véronique Guèvremont est une spécialiste de la découvrabilité et de la diversité des expressions culturelles. Elle est accompagnée de l'animateur de la table ronde et conseiller en communication à l'IID, Raymond Poirier.
— Yan Doublet
Par un curieux concours de circonstances, cette question de la diversité des expressions culturelles sera débattue presque simultanément, du 11 au 14 février, encore une fois à Paris, à l'occasion d'une session du Comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Rappelons que le Sommet pour l'action sur l'IA, qui aura lieu à Paris les 10 et 11 février, réunira les acteurs de l'IA à l'échelle mondiale pour réfléchir au fragile équilibre entre le développement de cette technologie et la responsabilité sociale et environnementale.