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Le harfang des neiges est beaucoup moins abondant qu'on le croyait et le nombre d'adultes nicheurs a diminué de plus de 30% au cours des trois dernières décennies, concluent des scientifiques de cinq pays qui se sont penchés sur la situation mondiale de cet oiseau de proie. Pour ces raisons et parce que les changements climatiques font peser des menaces sur son avenir, le harfang des neiges doit demeurer sur la liste des espèces vulnérables de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), recommande ce groupe de scientifiques dans un article publié par Bird Conservation International.
En octobre 2017, à la lumière d'études suggérant que la population mondiale de harfangs des neiges était largement surestimée, l'UICN lui avait attribué le statut d'espèce vulnérable, invitant du même souffle la communauté scientifique à réunir davantage de données probantes sur la population de cet oiseau de proie. Le Groupe de travail international sur le harfang des neiges, qui réunit des scientifiques des États-Unis, de Norvège, de France, de Russie et du Canada, dont Gilles Gauthier de l'Université Laval, a répondu à cet appel.
Le professeur Gauthier, rattaché au Département de biologie et au Centre d'études nordiques, a dirigé, de 1993 à 2021, un programme de recherche sur le harfang des neiges à l'île Bylot dans l'Arctique canadien. «La durée de notre projet et le nombre d'adultes reproducteurs que nous avons suivis placent notre programme parmi les trois plus importants au monde», souligne-t-il.
Une étude publiée en 2004 avait chiffré la population mondiale de harfangs des neiges à 290 000 individus. «Il s'agit d'une estimation qui reposait sur la fausse prémisse que cette espèce circumpolaire niche uniformément dans l'ensemble de son aire de reproduction. On sait maintenant que l'habitat qui convient à sa nidification est plus restreint et plus morcelé que ce qu'on supposait en raison des fluctuations des populations de lemmings, la principale source de nourriture du harfang pendant la saison de reproduction», explique le professeur Gauthier.

Le harfang des neiges est un nomade erratique qui n'emprunte pas de corridors de migration bien définis et qui ne se rassemble pas dans des haltes migratoires ou dans des aires d'hivernage délimitées facilitant les décomptes. Après la nidification, il peut rester sur place ou migrer dans n'importe quelle direction.
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Estimer la population mondiale d'une espèce d'oiseau n'est pas une mince tâche et les particularités du harfang ne facilitent pas le travail des scientifiques. Le harfang des neiges niche en faibles densités – à l'île Bylot, lors des meilleures années, on retrouve 2 nids par 10 km2 –, dans des régions peu peuplées et difficiles d'accès. Sa fidélité au site de nidification est très faible; plus de 700 km peuvent séparer les nids d'une même femelle lors de deux années successives, un record dans le monde des oiseaux. C'est un nomade erratique qui n'emprunte pas de corridors de migration bien définis et qui ne se rassemble pas dans des haltes migratoires ou dans des aires d'hivernage délimitées facilitant les décomptes. Après la saison de nidification, il peut rester sur place ou migrer. Lorsqu'il entreprend des migrations, il peut se diriger vers le nord, l'est, l'ouest ou le sud, et même vers la glace de mer de l'océan Arctique.
Néanmoins, le professeur Gauthier et 38 autres scientifiques des États-Unis, de Norvège, de France, de Russie et du Canada ont réuni et analysé toutes les données récentes et fiables portant sur les effectifs du harfang des neiges. «Au terme de nos analyses, nous estimons que la population d'adultes reproducteurs se situe quelque part entre 14 000 et 28 000 adultes, soit de 10 à 20 fois moins que ce qui était avancé précédemment», résume le chercheur.
— Gilles Gauthier
Par ailleurs, les données provenant du suivi à long terme du harfang des neiges dans cinq sites de nidification, dont celui de l'île Bylot, indiquent que le nombre d'adultes reproducteurs aurait diminué de plus de 30% au cours des trois dernières décennies. Une des hypothèses les plus probables pour expliquer cette diminution est une chute de l'abondance des lemmings. «Pendant la saison de reproduction, le harfang des neiges dépend presque entièrement des lemmings pour son alimentation, rappelle Gilles Gauthier. À l'île Bylot, le harfang ne niche pas si la densité de lemmings est moins de deux individus par hectare.»
En raison des changements climatiques, la fréquence des épisodes de pluie et de dégel-regel de la neige est en hausse dans certaines régions de l'Arctique. Ces conditions, qui produisent une neige durcie, peuvent se répercuter sur les populations de lemmings. En effet, à cause de la neige durcie, les lemmings pourraient devoir dépenser plus d'énergie pour creuser les tunnels dans lesquels ils se déplacent neuf mois par année, ou encore avoir plus de difficulté à accéder à la nourriture qui se trouve au sol.

À l'île Bylot, le harfang des neiges se nourrit presque exclusivement de lemmings bruns et de lemmings variables (photo) pendant la saison de reproduction. La baisse des populations de lemmings attribuable aux redoux hivernaux plus fréquents est l'une des hypothèses évoquées pour expliquer la diminution des effectifs des harfangs des neiges.
— Mathilde Poirier
«Les modèles de changements climatiques prévoient que la fréquence des épisodes de dégel-regel ira en augmentant au cours des prochaines décennies, rappelle Gilles Gauthier. Comme le sort du harfang est lié à l'abondance des lemmings, ces redoux pourraient affecter la reproduction du harfang. Dans ce contexte, il est important que le harfang conserve son statut d'espèce vulnérable et que les scientifiques continuent de suivre l'évolution de ses effectifs au cours des prochaines années.»