The Year of Living Dangerously. C'est en référence à ce film lancé en 1982 qu'a été donné le coup d'envoi à une table ronde présentée par l'École supérieure d'études internationales de l'Université Laval (ESEI) pour la rentrée de l'hiver 2025. L'expert en résidence et chargé de cours à l'ESEI Pierre Guimond animait l'activité qui a eu lieu le vendredi 17 janvier au Cercle universitaire du pavillon Alphonse-Desjardins.
Quelque 70 personnes, des professeures et professeurs, des étudiantes et étudiants, étaient présentes. La table ronde avait pour thème «Perspectives 2025». Les échanges ont porté sur de grands enjeux et événements susceptibles de retenir l'attention sur la scène mondiale au cours de la prochaine année.
Pierre Guimond a posé trois questions aux panélistes: «À quoi doit-on s'attendre en 2025? Que devons-nous craindre? Que peut-on faire?»
Le premier à sauter dans la mêlée a été Damian Raess, professeur à l'ESEI. «L'éléphant dans la pièce est évidemment Donald Trump et son retour à la Maison-Blanche, a-t-il expliqué d'entrée de jeu. Il est peut-être en train de faire des émules. On l'a entendu parler du Groenland, du canal de Panama, y compris de la possibilité d'annexer le Canada puisque ces territoires sont d'une grande importance pour l'économie américaine.»
Le professeur a rappelé que les frontières ont été figées longtemps. «Elles sont peut-être en train de devenir à nouveau plus fluctuantes, a-t-il poursuivi. L'intégrité territoriale est remise en question. On sait que quand le droit international n'est pas respecté, c'est la loi du plus fort qui règne. Je pense qu'il y a là un développement important au niveau des relations internationales.»
Selon lui, l'agenda protectionniste du président Trump sera à surveiller. Est-ce que l'intensification de la guerre commerciale va avoir lieu? a-t-il demandé. «Je pense que oui, a-t-il répondu. C'est une promesse électorale. Il a annoncé des tarifs douaniers, non seulement sur les adversaires des États-Unis comme la Chine, mais également sur les plus proches alliés des États-Unis, le Canada notamment, qui va se prendre 25% en pleine face.»
L'extrême-droite populiste aux portes du pouvoir
En Autriche, Herbert Kickl, le dirigeant du parti d'extrême droite populiste, le Parti de la liberté, devrait être le prochain chancelier et prochain dirigeant d'un gouvernement de coalition. Ce faisant, l'Autriche deviendra le premier pays européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à être dirigé par un parti d'extrême droite nationaliste.
Selon Damian Raess, il existerait un lien causal entre la montée des protectionnismes et la montée en puissance des partis populistes extrémistes de droite.
«Premièrement, a-t-il dit, il faut reconnaître que le contrecoup de la démondialisation ne date pas seulement du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en 2020, ni de l'élection de Donald Trump pour un premier mandat en 2018, mais que ces tendances protectionnistes couvaient depuis au moins les années 1990.»
Il y a une vingtaine d'années, a rappelé le professeur Raess, elles étaient déjà en augmentation. En 2002, par exemple, en France, Jean-Marie Le Pen s'est rendu au deuxième tour de l'élection présidentielle. Aujourd'hui, les partis populistes sont aux portes du pouvoir. Ils gouvernent, notamment aux Pays-Bas avec une coalition. Et le gouvernement français est actuellement à la merci du parti d'extrême droite Rassemblement national.
Selon lui, l'hyper-mondialisation, la coopération institutionnalisée croissante telle que la délégation de compétences à des organisations internationales comme l'Organisation mondiale du commerce à partir de 1995 et la création de la monnaie unique dans l'Union européenne en 1999, ainsi que les attaques contre la protection sociale et la réglementation du marché du travail ont sapé les outils de souveraineté nationale des États. «Cela et d'autres facteurs, a-t-il ajouté, ont créé un espace pour l'émergence de ces partis nationalistes et antiglobalistes.»
La mondialisation est-elle allée trop loin? Les avantages de la mondialisation sont-ils des vœux pieux? À ces deux questions, le professeur a répondu «Oui, probablement» et «Oui, en partie».
«En gros, a-t-il résumé, je suis assez pessimiste sur une fin de la mondialisation, de ces mécontentements et de la continue progression des forces populistes de droite qui, à mon sens, vont continuer à surfer sur leur succès électoral.»
Les pays émergents, un groupe en croissance
Durant la période de questions, Damian Raess a souligné que les pays émergents représentent un défi à l'ordre économique occidental tel qu'il existe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un premier rééquilibrage des pouvoirs a eu lieu avec la spectaculaire croissance de la Chine depuis trois décennies.
Selon lui, la situation des pays émergents aujourd'hui est plus complexe. «En 2024, a-t-il expliqué, cinq pays se sont ajoutés au groupe des BRICS formé du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud. Il y a plus d'hétérogénéité avec l'arrivée de l'Égypte, l'Éthiopie, les Émirats arabes unis, l'Iran et l'Arabie saoudite. L'Iran et l'Arabie saoudite sont en compétition directe au Moyen Orient. Et il existe une compétition forte entre l'Inde et la Chine. Ce manque de cohésion limite à quelque part le pouvoir et les capacités à rééquilibrer l'économie mondiale et sa direction.»
Les pays du «Sud global» peuvent-ils se détourner des États-Unis? Si oui, avec quelles conséquences?
En réponse à ces questions, le professeur Raess a pris comme exemple la compétition en matière d’aide au développement qui se déroule en Afrique entre les Occidentaux et les Chinois.
«Le nouveau donateur chinois est apprécié des pays africains au point où certains de ces pays se détournent de leurs anciens donateurs, a-t-il dit. Une partie de cet attrait a à voir avec l'approche chinoise. L'approche occidentale distribue ses subventions à certaines conditions en lien avec principes démocratiques, les droits de la personne et autres. On va insister sur la bonne gouvernance. On va essayer d'influencer les politiques domestiques. Les Chinois, eux, proposent une aide respectueuse de la souveraineté des États et basée sur une égalité et des avantages économiques mutuels.»
Or, une étude réalisée sur ces questions par le professeur montre que la Chine n'est pas très différente des Occidentaux dans son approche.
«Les Chinois ont une manière plus subtile de demander une contrepartie aux pays bénéficiaires de leur aide, a-t-il soutenu. On a regardé le comportement du vote de ces pays à l'assemblée générale de l'ONU. On voit que les plus grands récipiendaires vont réaligner leur politique étrangère et leur manière de voter avec les préférences chinoises sur les objets importants de leur politique étrangère.»
La table ronde réunissait également la professeure Adèle Garnier, du Département de géographie et le professeur Hang Zhou, du Département de science politique. La première a abordé la crise climatique et son influence sur les flux migratoires des grandes puissances. Le second a parlé de l'aspect économique du financement chinois dans les grands projets d'infrastructures en Afrique.