La rétractation d’articles par les éditeurs de revues scientifiques – le signal qu’un article déjà publié comporte des lacunes suffisamment importantes pour être jugé invalide – a connu une hausse importante au cours de la dernière décennie pour atteindre un sommet en 2023 avec plus de 10 000 articles rétractés. Le domaine de l’ophtalmologie n’échappe pas à cette tendance lourde, comme le démontre une étude publiée dans la revue Heliyon.
Yosra Er-reguyeg, étudiante au doctorat en médecine et étudiante-chercheuse à la maîtrise en sciences biomédicales à l’Université Laval, Frédéric Mouriaux, professeur associé en ophtalmologie à la Faculté de médecine et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, et Christophe Boudry, du CHU de Rennes, en ont fait la démonstration en retrouvant, à l’aide de la base de données PubMed, tous les articles rétractés entre 1966 et 2023 dans le domaine de l’ophtalmologie.
Pendant cette période, 544 472 articles ont été publiés dans ce domaine. Du nombre, 151 articles, parus dans 91 revues, ont été rétractés. Les raisons évoquées par les éditeurs pour rétracter ces articles sont multiples. La falsification des données vient au premier rang avec 38% des cas. Suivent les erreurs de bonne foi trop importantes pour être corrigées par la publication d’un erratum (23%), les disputes entre les auteurs touchant la signature de l’article (9%), le plagiat (7%) et la duplication de publication (7%).
Les analyses effectuées par l’équipe de recherche montrent que nombre d’articles rétractés annuellement est demeuré sous la barre de 5 jusqu’en 2011. La moyenne annuelle a ensuite grimpé à 6,6 entre 2011 et 2019, avant de bondir à 23 pour la période 2020-2022.
«Les rétractations faites pendant ces trois années représentent à elles seules 45 % du total, observe Yosra Er-reguyeg. Nous ne savons pas si la tendance à la hausse que nous avons observée est due au fait qu’il y a plus de fraude et d’erreurs du côté des scientifiques, s’il y a eu un relâchement du processus de révision par les pairs pendant la pandémie de COVID-19 ou si les éditeurs et la communauté scientifique sont meilleurs pour détecter les articles problématiques.»
Il faut un certain temps pour débusquer les articles qui posent problème. Un peu plus de la moitié (52%) des rétractations survient plus de deux ans après la diffusion de l’article. Dans 9% des cas, les articles «vivent» au moins 10 ans avant d’être rétractés.
Les bonnes règles en matière d’édition scientifique veulent que les articles rétractés demeurent dans les bases de données et sur les sites Web des éditeurs, mais ils doivent être très visiblement identifiés comme ayant été rétractés. «Nous avons constaté que 21% des articles rétractés ne sont pas étiquetés correctement à cet effet dans le site Web des revues scientifiques», souligne Yosra Er-reguyeg.
«La conséquence est que ces articles circulent longtemps, sont cités dans d’autres publications, propagent des erreurs dans la communauté scientifique et dans la société et peuvent conduire à des décisions cliniques qui risquent de nuire à la qualité des soins dispensés aux patients», souligne le professeur Mouriaux.
— Frédéric Mouriaux
La rétractation d’un article n’est pas un problème en soi, poursuit-il. « En fait, il s’agit d’une solution à différents problèmes dont les plus courants sont la fraude scientifique et les erreurs de bonne foi. Un resserrement du processus de révision par les pairs aiderait à prévenir une partie des erreurs de bonne foi, mais la malhonnêteté est difficile à arrêter. »
Les articles rétractés chaque année représentent à peine 0,2% de tous les articles publiés annuellement, mais ils constituent néanmoins une épine dans le pied de la science. À défaut de mieux, la rétractation demeure le meilleur outil pour stopper les dommages que peuvent causer les articles scientifiques contenant des informations erronées. Malheureusement, les éditeurs ne se livrent pas avec un égal enthousiasme à cet acte de contrition.
« Tout article rétracté doit être clairement étiqueté comme tel dans le site Web de l’éditeur ainsi que dans les banques de données bibliographiques, insiste le professeur Mouriaux. Il est essentiel que cet exercice soit fait rigoureusement pour empêcher ces articles de contaminer les connaissances sur lesquelles la science se construit. »