Au début des années 1980, les personnes qui voulaient identifier des plantes du Nord québécois devaient utiliser des ouvrages rédigés en anglais, qui portaient sur les plantes de l'Alaska ou des Territoires du Nord-Ouest. La description des plantes et les croquis qui y figuraient étaient sommaires, si bien que seuls les botanistes avertis pouvaient s'y retrouver. Le professeur Serge Payette, qui dirigeait alors le Centre d'études nordiques de l'Université Laval, a décidé qu'il était temps de corriger cette situation en publiant une flore plus accessible qui donnerait un portrait juste et plus complet du patrimoine végétal québécois au nord du 54e parallèle.
Quatre décennies plus tard, le professeur Payette et l'équipe de 25 personnes dont il s'est entouré peuvent dire mission accomplie. En effet, le 18 septembre, les Presses de l'Université Laval publiaient le cinquième et dernier volume de la monumentale Flore nordique du Québec et du Labrador. Les 3219 pages que totalisent les cinq tomes laissent deviner la somme colossale de travail que cet ouvrage a exigée.
«Le projet a été entrepris en 1982, mais il a été mis sur pause par la suite. En l'an 2000, j'ai réuni des spécialistes de la botanique pour élaborer un plan de match pour la production de cet ouvrage et c'est à ce moment que le projet a vraiment démarré», raconte le professeur Payette.
La première étape des travaux consistait à dresser un inventaire des plantes du Québec nordique à partir d'un examen détaillé de ce qui se trouvait dans des herbiers. L'équipe a donc passé au crible l'Herbier Louis-Marie de l'Université Laval ainsi que plusieurs autres herbiers situés au Canada et aux États-Unis. L'exercice a permis de repérer quelque 95 000 spécimens d'herbier appartenant à 783 espèces vasculaires des milieux boréaux, subarctiques et arctiques du Québec et du Labrador.
L'étape suivante consistait à synthétiser l'information recueillie sur chacune de ces espèces et à la présenter de façon uniforme et exhaustive afin de «rendre justice à la nature en décrivant abondamment chaque espèce», précise le professeur Payette. Chaque taxon qui se trouve dans l'ouvrage est accompagné d'une description morphologique détaillée, de photographies de grande qualité montrant les caractéristiques ayant une valeur diagnostique, d'une carte de répartition géographique et de renseignements sur l'écologie et l'habitat de l'espèce.
Le premier tome de la Flore nordique est paru en 2013. Les tomes 2 et 3 ont suivi en 2015 et en 2018. Les deux derniers tomes ont été publiés à un an d'intervalle, en 2023 et en 2024. «La COVID a été une période très féconde pour nous. Pendant deux ans, j'ai pu consacrer tous mes avant-midis à la Flore nordique, ce qui a permis de faire avancer rapidement les deux derniers volumes», explique le professeur Payette.
Même si la Flore nordique vient répondre à un besoin manifeste chez les étudiants, les chercheurs et les professionnels des sciences naturelles qui s'intéressent aux plantes du Nord québécois, Serge Payette ne se fait pas d'illusion sur le sort qui attend cet ouvrage dans quelques décennies. «La nature évolue, les communautés végétales changent, les flores vieillissent et deviennent périmées. Rien n'est éternel, rien n'est immuable. Il se peut que dans quelques décennies, les flores telles qu'on les connaît aujourd'hui aient toutes été remplacées par des applications qui permettent d'identifier les plantes à l'aide d'un téléphone intelligent. La Flore nordique est un outil qui donne le portrait de ce qui existe présentement dans le Nord québécois et elle deviendra une référence pour construire les flores de demain. Notre ouvrage est une étape, un relais de la connaissance. C'est comme ça que la science fonctionne.»